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Décision de justice attendue sur le plagiat universitaire - Lucie Delaporte, Mediapart, 28 novembre 2011

mardi 29 novembre 2011, par Elie

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Difficile de briser le tabou du plagiat universitaire. Dans un monde habitué à laver son linge sale en famille, Jean-Noël Darde, maître de conférences à l’université Paris VIII, est en train de le découvrir à ses dépens. Ce chercheur qui a mis au jour de multiples cas de plagiats, impliquant non seulement des étudiants mais aussi des professeurs reconnus dans leur discipline, a dû plaider sa bonne foi devant les tribunaux. La 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris où il a été assigné en diffamation doit rendre son ordonnance aujourd’hui. Une décision d’autant plus attendue que ces affaires ont longtemps été tues à l’université.

Dans une interview donnée à l’agence de presse spécialisée en éducation AEF, le 7 octobre, il s’inquiétait de la présence de « plagiaires » ou « d’aveugles au plagiat » sur la liste de candidats au CNU, le Conseil national des universités, qui préside aux destinées des enseignants, s’étonnant qu’on puisse prétendre à de telles fonctions en ayant été convaincu de telles pratiques. Nommément cité dans son blog Archéologie du copier-coller, Khaldoun Zreik, enseignant au sein du laboratoire Paragraphe de Paris VIII, a donc porté plainte en référé le 28 octobre dernier, revendiquant de solides soutiens au sein de la hiérarchie de Paris VIII.

Le président de l’université, Pascal Binczak, affirme d’ailleurs aujourd’hui trouver « nauséabond » qu’un enseignant « puisse s’ériger ainsi en procureur voire en justicier » et précise que ces recherches sur le plagiat « sont des initiatives personnelles qui ne relèvent pas d’un laboratoire de Paris VIII. Par ailleurs, je suis attaché à la présomption d’innocence. Je refuse que l’on jette en pâture les noms de collègues qui n’ont pas été condamnés », affirmait-il au sujet de l’affaire jugée aujourd’hui.

Reconnu pour ces travaux sur le plagiat, notamment publiés sur son blog, Jean-Noël Darde a pourtant reçu ces dernières années de nombreuses marques de soutien d’universitaires soulagés pour beaucoup que de telles affaires sortent enfin.

« Laxisme des autorités universitaires »

« Le travail présenté ici par M. Darde ne fait que dévoiler un premier arbrisseau. Il reste encore à explorer toute la forêt des pillards, qui est une sorte de forêt "en marche", comme dans Shakespeare », écrit par exemple sur son blog Philippe Quéau, ancien directeur de recherche à l’INA et considéré comme un pionnier d’Internet en France. « En tant qu’auteur ayant été copié-collé par l’un des plagiaires cités ici, je voudrais dire que ce n’est pas tant le fait d’avoir été utilisé sans être cité qui me gêne (après tout c’est une forme d’hommage !). C’est plutôt et surtout le laxisme des autorités universitaires qui décernent des titres de "docteur" à des personnes manifestement non qualifiées qui me stupéfie. »

Il faut dire que sur la question du plagiat, l’université Paris VIII ne semble pas avoir fait preuve de la plus grande fermeté. En 2005, Jean-Noël Darde, confronté à un mémoire de DEA manifestement plagié, se lance dans un travail de recherche sur les mémoires soutenus les années précédentes dans son département. Sur une trentaine de mémoires de DEA pris au hasard, il découvre qu’un tiers sont constitués de « copier-coller », à 40% ou plus ! « Moins de trois ans après, l’un des étudiants a passé sa thèse avec les félicitations. la thèse était 100% copiée-collée », rapporte le chercheur.

En poursuivant ses recherches, il s’aperçoit que trois thèses sont également « à 100% » des plagiats. Il réclame l’annulation des diplômes mais se heurte rapidement à des réactions pour le moins embarrassées de collègues qui refusent que l’on ouvre la boîte de Pandore. Dans un courrier adressé à ses pairs, un professeur de Paris VIII écrit : « La question de l’annulation des diplômes pose au moins deux problèmes :

1) Elle remet en cause la compétence du jury et plus particulièrement du directeur du mémoire. Y sommes-nous prêts ?

2) Elle nous entraîne dans une procédure administrative et juridique lourde. Il faudrait nous documenter sur les précédents. »

L’argumentation est limpide. Puisque la question du plagiat risque d’éclabousser les universitaires eux-mêmes, mieux vaudrait fermer les yeux. « On m’a aussi dit que ce serait injuste de sanctionner ces doctorants parce qu’il devait y en avoir d’autres dans la même situation qui, eux, ne le seraient pas », se souvient, atterré, Jean-Noël Darde. De façon ferme et encore polie, on lui fait comprendre qu’il aurait tout intérêt à ne pas aller trop loin.

L’enseignant Patrick Curran, qui a dirigé les mémoires et l’une des thèses plagiées, lui adresse également ce courrier : « Si (…) tu enclenches une procédure et que celle-ci prend un caractère contradictoire, polémique ou même nuancé, la bombe sera amorcée pour l’ensemble de l’Université et ne s’arrêtera pas, selon moi, pour des raisons d’équité justement. (…) Ton avertissement aura été utile mais je suis partisan d’éviter l’escalade et de prévenir pour ne plus avoir à guérir. Dans les divers aspects de notre mission d’enseignants-chercheurs, ce phénomène existe mais ne mérite pas le premier plan ni la vedette. » Fermez le ban.

Le briquet de Darwin et le traducteur automatique

Que plusieurs thèses à Paris VIII aient été obtenues par la simple technique du « copier-coller » ne semble pas émouvoir outre mesure l’équipe en place. Dans les cas que Jean-Noël Darde décortique, la responsabilité du jury ou du directeur de mémoire est pourtant problématique. Dans un mémoire de DEA, il repère ainsi des « ruptures de style abyssales », qui auraient dû sauter aux yeux de la plus superficielle des lectures.

Dans un cas précisément relaté dans un article publié sur son blog Le briquet de Darwin, il montre par exemple qu’un étudiant enchaîne sans problème des pages de Merleau-Ponty, sans aucun guillemet, avec un sabir étrange, dont Jean-Noël Darde va déceler, comme il le raconte, qu’il émane d’une improbable traduction automatique d’un texte en anglais. La démonstration est suffisamment confondante pour ébranler l’institution et interroger ceux qui ont laissé passer de tels écarts.

Assez vite, le chercheur se retrouve dans le collimateur de l’université. L’enseignement qu’il avait monté en 2005, intitulé « Sources bibliographiques, sources Internet et référencements », et qui avait pour but d’interroger la pratique du « copier-coller » et sensibiliser les étudiants au plagiat, lui est retiré en 2009. Khaldoun Zreik, qui prend alors la décision, explique dans un entretien à l’AEF que « les étudiants à bac+5 n’ont pas besoin de 40h de cours magistral sur ces problématiques dont le principe est simple à comprendre et à mettre en œuvre ».

Et cela n’aurait bien sûr rien à voir avec le fait qu’il était lui-même mis en cause par Jean-Noël Darde dans différentes affaires de plagiat. Interrogé par Mediapart, l’enseignant affirme aussi que son cours « était très peu suivi ». Et veut introduire un peu de nuance dans le débat. « Il y a une différence pour moi entre plagiat et copier-coller. On demande aujourd’hui aux étudiants de rédiger des mémoires et des thèses comme au XIXe siècle. A l’époque ils n’avaient pas accès à l’information instantanée, il faut qu’on se renouvelle », juge ce spécialiste des nouvelles technologies.

Les tracasseries de Jean-Noël Darde ne vont pas s’arrêter là. En juillet 2009, il se voit confier un enseignement sur la vidéo pour lequel il estime n’avoir aucune compétence. Il refuse de le faire. N’ayant pas assuré le nombre d’heures de cours qui lui était demandé, il voit sa prime de recherche de 1500 euros supprimée. Parallèlement, des lettres signées par le « Collectif de réflexion et de lutte contre la délation instrument(alis)ée » circulent dans l’université. Dans une langue alambiquée, ce collectif anonyme dénonce le « délateur » prêt à « briser rétroactivement la vie d’un homme, de sa femme et de ses deux enfants » et met en garde ceux qui l’aideraient dans son travail de « corbeau ». « Pour cette raison les plaintes en pénal sur le point d’être déposées à l’encontre de ce MCF n’excluront pas leur extension à des complicités explicites et/ou implicites au sein de notre établissement »… Ambiance.

Un problème pas toujours traité avec transparence

Interrogé, le président de Paris VIII, Pascal Binczak, reconnaît que le problème du plagiat à l’université en général « n’a pas toujours été traité de manière très transparente ou très responsable. Dans un cas de plagiat, il y va de la responsabilité du directeur de thèse, celle du laboratoire de recherche, de l’école doctorale, du jury de thèse. C’est un phénomène naturel de l’institution qui consiste à se protéger. Tout cela est révolu à Paris VIII », veut-il croire.

Pour preuve, l’université s’est dotée d’un logiciel Compilatio pour détecter les emprunts. Un outil dont l’efficacité est pourtant mise en cause par les spécialistes de la question. S’il tient à rappeler la difficulté à définir précisément le plagiat – « Il y a le plagiat de forme, le plagiat d’idée, parfois chez les étudiants étrangers une différence de code de déontologie » –, il récuse tout laxisme sur la question et souligne qu’une thèse, à 100% plagiée, a bien été – avec peu d’empressement, il est vrai – finalement annulée. L’affaire – même si d’autres cas restent en suspens – est pour lui close. Jean-Noël Darde mène désormais, selon lui, une quête « obsessionnelle ».

Lors de l’audience du 7 novembre, le chercheur a pourtant pu attester de lettres de soutien, comme celle de Daniel Tricot, ancien président de la Cour de cassation et docteur en droit, qui l’a soutenu lors d’une précédente affaire de plagiat qui impliquait Paris VIII, l’affaire B. vs L. (voir notre précédent article), lequel a écrit que « sa parfaite objectivité, sa prudence et sa retenue excluent toute marque d’animosité ». Le tribunal devait rendre son ordonnance dans l’après-midi.