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Espé : attention fragile ! Espé : des mondes qui peinent à se rapprocher - Isabelle Dautresme, Educpros, 8 octobre 2014

vendredi 10 octobre 2014, par Hélène

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Faire travailler ensemble et harmonieusement universitaires, formateurs de terrain et rectorat. Telle est la gageure des Espé (écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Avec des réussites variables selon les académies.

Mises en place en un temps record en pleine recomposition universitaire, les écoles du professorat ont ouvert leurs portes en septembre 2013. "Malgré un contexte très difficile, elles sont finalement toutes parvenues à préparer des candidats aux métiers de l’enseignement en collant au plus près à l’esprit de la loi", souligne Jacques-Bernard Magner, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les Espé. Les candidats seraient même 30% plus nombreux que les années précédentes, d’après le ministère de l’Éducation nationale. À la CPU (Conférence des présidents d’université), on se dit également plutôt satisfait. Pas question, pour autant, de crier victoire. "On est très loin d’un rythme de croisière. De nombreux points doivent encore être ajustés", prévient Gilles Roussel, responsable de la commission formation à la CPU.

Des situations différentes selon les académies

Et pour certaines Espé, le chemin qui reste à parcourir s’annonce pour le moins escarpé. Si toutes les écoles ont finalement obtenu, en juillet dernier, l’habilitation à délivrer des masters Meef (trois n’avaient reçu un agrément que pour un an : Versailles, Grenoble, Lyon), il existe une grande diversité de situations qui rend difficile tout bilan global. À Clermont-Ferrand, par exemple, l’Espé a pris assez vite ses marques, tandis qu’à Versailles, Toulouse, Bordeaux ou Lyon, le moteur de la formation patine encore. En cause, notamment, la mauvaise entente entre certains présidents d’université.

"Là où cela coince, c’est dans les académies où il existe plusieurs universités qui n’ont pas nécessairement l’habitude de travailler ensemble", explique Jacques Ginestié, président du réseau national des Espé. Au ministère, on ne nie pas l’existence de tensions, mais on cherche pour le moins à les relativiser. "L’enjeu des conflits à Toulouse, Bordeaux et Lyon n’est pas tant l’Espé que la Comue (communauté d’universités et établissements)", explique-t-on au ministère.

L’héritage compliqué des IUFM

Au-delà des relations interuniversitaires, l’une des explications à la difficile mise en place des Espé est à chercher du côté de la finalité même de ces écoles, censées professionnaliser la formation des enseignants, à laquelle on a longtemps reproché de faire la part belle à la discipline au détriment de la pédagogie.

À un enseignement disciplinaire de niveau master, doit dorénavant se mêler une formation plus professionnelle assurée par des intervenants de terrain. Obligeant ainsi universitaires et formateurs de terrain qui n’ont pas pour habitude de se fréquenter, voire, parfois, qui entretiennent une défiance mutuelle, à travailler ensemble. "À Bordeaux, les tensions ont été particulièrement fortes entre enseignants-chercheurs de l’IUFM et ceux de l’université", témoigne Charles Mercier, maître de conférences en histoire-géographie à l’Espé d’Aquitaine.

Et Gilles Roussel d’analyser : "Une grande partie des IUFM acceptent mal d’avoir perdu le pilotage de la formation des enseignants." "Ils pourraient donc être tentés de laisser les UFR en dehors", reconnaît le ministère. Pour éviter une telle "dérive", celui-ci n’a pas lésiné sur les moyens : mise en place de commissions de suivi, mobilisation de l’inspection, visites surprises de terrain. "Jamais une loi n’a été autant encadrée", assure-t-on rue de Grenelle… et n’a mobilisé autant de services. À commencer par ceux du rectorat.

"C’est [au recteur] de piloter la mise en place de ces écoles, d’organiser des moments de concertation et d’échanges entre la direction et les présidents d’université." (Jacques-Bernard Magner)

Le recteur, avec sa double casquette – à la fois de chef des services de l’éducation nationale et de chancelier des universités (même si depuis le passage à l’autonomie son influence a fortement baissé) – est, en effet, un acteur majeur des Espé. "C’est à lui de piloter la mise en place de ces écoles, d’organiser des moments de concertation et d’échanges entre la direction et les présidents d’université", insiste Jacques-Bernard Magner. D’ailleurs, "les académies où le recteur s’empare pleinement du dossier et s’y implique personnellement sont souvent celles où il y a le moins de problèmes".

des outils de gouvernance peu investis

Dans un tel contexte de tensions et de luttes de pouvoir entre les différents intervenants, la question de la gouvernance des Espé se révèle particulièrement sensible. Si, pour certains, à l’instar de Daniel Filâtre, recteur de l’académie de Grenoble et à la tête de la mission d’évaluation des Espé, "les organes de pilotage garantissent aux personnels de l’université et extérieurs une représentativité satisfaisante", pour les syndicats, à l’inverse, cet équilibre n’est pas respecté. "La part des élus est insuffisante", s’insurge Thierry Astruc, responsable du secteur formation des enseignants à la FSU.

Pour l’heure, les universitaires peinent à s’emparer de ces instances. "Très peu ont candidaté aux postes de direction," souligne-t-on au ministère avant d’avancer une explication : "Longtemps, les UFR ont été mis en position de contribution et non de partenariat, il faut leur laisser le temps de prendre leurs marques." Car, quand elle est mise en place dans de bonnes conditions, la gouvernance des Espé participe au rapprochement des points de vue. "En faisant siéger dans le même conseil d’école des représentants des universités, de l’Espé et du rectorat, chacun se sent collectivement responsable des décisions prises", analyse Charles Mercier.

"Le danger serait de tirer le bilan [des Espé] trop tôt. Le dossier est énorme." Gilles Roussel (CPU)

Des moyens insuffisants

Mais, au final, la question des moyens reste le véritable talon d’Achille de la réforme de la formation des enseignants. "Une grande partie des difficultés des Espé tient au fait que l’on met en place des réformes positives sans nécessairement en assumer le coût !", s’insurge Yoro Fall, membre du bureau national de l’Unef en charge de la formation des enseignants. Et Paul Devin, secrétaire général adjoint du SNPI-FSU, de regretter que les Espé soient "les parents pauvres de l’université. Elles sont les premières victimes des restrictions budgétaires". Côté CPU aussi, on se dit très inquiets. "On n’a aucune visibilité. On ne sait toujours pas exactement comment vont se faire les répartitions", déplore Gilles Roussel.

Pas question, pour autant, de remettre en cause la réforme. Malgré les multiples dysfonctionnements et la complexité de leur mise en œuvre, chacun reconnaît aux Espé le mérite d’exister. "Le danger serait de tirer le bilan trop tôt. Le dossier est énorme. Les Espé ont besoin d’un peu de temps pour procéder aux ajustements nécessaires et ainsi évoluer", conclut Gilles Roussel.

Quelle place dans la Comue ?

Parmi les gros chantiers qui restent à trancher, celui de la place des Espé dans la Comue figure en bonne place. Pour l’heure "rien n’est arrêté", affirme-t-on au ministère. Trois Espé ont tout de suite demandé à être portées par le Pres (devenu Comue) : celles de Lille, Montpellier et Rennes. "À Lille, le transfert des moyens de l’Espé vers la communauté devrait se faire dès la rentrée 2015. Dans les deux autres cas, c’est en attente, le périmètre de la Comue n’étant pas encore tout à fait stabilisé ", précise-t-on au ministère. À l’avenir, d’autres Espé, telles que celles de Toulouse ou de Lyon, pourraient être intéressées par un rattachement à la Comue. Qu’en sera-t-il des Espé implantées dans des universités appartenant à des Comue différentes (Espé franciliennes) ? Pas de réponse."On est dans l’expectative et pas nécessairement d’accord entre nous", témoigne Gilles Roussel.