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Etudiants étrangers : la hausse des frais d’inscription inquiète la recherche - Faïza Zerouala, Médiapart, 28 janvier 2019

lundi 28 janvier 2019, par Laurence

La hausse des droits d’inscription pour les étudiants étrangers extracommunautaires, prévue pour la rentrée prochaine, mobilise toujours ses opposants. Ils alertent sur le signal de fermeture au monde ainsi envoyé et le risque d’assèchement du vivier de chercheurs qui pourrait appauvrir la recherche française.

Ironiquement, le plan gouvernemental censé rendre le pays attractif pour les étudiants étrangers se nomme « Bienvenue en France ». « Bienvenue  » peut-être, mais à condition d’avoir un compte bancaire bien garni. En effet, l’un de ses volets prévoit une hausse substantielle des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, hors Union européenne. Une disposition, annoncée par le premier ministre le 19 novembre, qui n’en finit pas de créer de l’émoi malgré l’annonce du triplement des bourses pour ces étudiants. Des rassemblements de protestation se tiennent un peu partout depuis. Le 22 janvier, la Fage, première organisation étudiante, en a organisé un pour demander le retrait de cette future mesure, devant l’université de la Sorbonne à Paris. L’Unef, avec une dizaine d’autres associations, a appelé à une mobilisation autour du même mot d’ordre le 24 janvier, jour de grève dans l’Éducation nationale.

Dès la rentrée 2019, les étudiants étrangers extracommunautaires verront le coût d’une inscription en licence, master ou doctorat s’envoler. Les frais passeront de 170 euros par an à 2 770 euros, et en master (ou doctorat) de 243 euros (ou 380 euros) à 3 770 euros. Campus France, qui gère les candidatures des étudiants étrangers, a déjà répercuté cette annonce. À l’heure actuelle, il y a 350 000 étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur. En doctorat, on dénombrait 29 500 étudiants à la rentrée 2016. 42 % d’entre eux sont étrangers, dont 50 % d’étudiants africains.

La plupart sont francophones, ce qui facilite la poursuite de leur cursus. Ils plébiscitent la France pour entamer leurs études supérieures pour des raisons culturelles et historiques. Le reste des étudiants est souvent originaire d’Asie et d’Amérique latine.

Une enseignante dans une école publique d’ingénieurs à forte composante internationale – qui souhaite conserver l’anonymat – se dit « écœurée » par cette mesure gouvernementale. Elle a manifesté contre. Elle raconte l’attachement que ces étudiants entretiennent avec le pays, sa culture et son histoire.

Elle enseigne les sciences humaines dans un département où les étudiants sont originaires d’Amérique latine. Elle rappelle que ceux qui viennent en France ne sont pas les plus riches. « Pour comprendre les conséquences de cette hausse, il faut considérer un ordre de grandeur intéressant qui est celui du salaire médian annuel net dans les pays d’origine de nos étudiants internationaux. Dans la plupart des pays impactés, l’ordre de grandeur est le suivant : les frais annuels annoncés correspondent à un an de salaire net médian. Ils sont déjà à l’os et cela va s’aggraver. » Quant aux plus riches, car ces sociétés très socialement stratifiées sont « classistes », explique encore cette enseignante, cette expérience à l’étranger est une chance inouïe pour eux de fréquenter des étudiants moins dotés qu’eux.

Lorsque cette annonce a été rendue publique, Youcef Fellah, étudiant en master 2 de littérature à Paris VIII et membre de l’Union des étudiants algériens de France (UEAF), a ressenti « un choc ». L’association avait déjà entendu des bruits autour d’une possible hausse, mais n’a pas voulu y croire, raconte celui qui est venu en 2016 de Tizi Ouzou, en Algérie. « Personne ne pourra payer cette nouvelle tarification. Déjà, il est très compliqué de venir, il faut surmonter plusieurs filtres. Pour pouvoir commencer la procédure, il faut passer un test de langue française qui coûte 10 000 dinars, soit environ 80 euros – presque l’équivalent d’un Smic –, puis ajouter au moins 6 000 dinars (environ 45 euros) pour examen du dossier. Et tout cela sans que l’obtention du visa ne soit garantie. » Les prétendants aux études françaises doivent aussi justifier de posséder 7 000 euros sur leur compte bancaire.

Une fois sélectionnés après toutes ces démarches, les étudiants étrangers n’ont pas forcément accès aux résidences gérées par le Crous, qui permettent d’obtenir un logement à coût modéré. Les doctorants n’ont pas non plus droit aux bourses sur critères sociaux. « Le barrage de l’argent est amorcé depuis bien longtemps, en réalité  », explique encore Youcef Fellah. Mathias Bernard, président de l’université Clermont-Auvergne, explique que son établissement accueille 5 000 étrangers sur 35 000 étudiants. 4 000 d’entre eux seront potentiellement concernés par la mesure, car originaires de pays hors Union européenne. Le président de l’université explique avoir voulu mener une politique d’internationalisation. Une filière économie du développement « qui n’existe pas ailleurs » attire en nombre ces étudiants étrangers, environ 70 % des effectifs en niveau licence et master. « On contribue à la formation des cadres de pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb », s’enorgueillit-il.

D’ailleurs, les responsables des formations, partenaires institutionnels de l’université, ont été les premiers à alerter sur les conséquences possibles d’une telle mesure. « Même un étudiant de classe moyenne ou aisée d’Afrique subsaharienne ne peut payer le montant annoncé, explique Mathias Bernard. Or la moitié de nos doctorats sont internationaux, ce qui contribue à la dynamique scientifique. Nous avons noué des partenariats privilégiés avec des laboratoires à l’étranger. Nous faisons des cotutelles de thèse par exemple.  »

La France se targue d’être une terre d’accueil des cerveaux. Au-delà de l’aspect moral et philosophique de la mesure, celle-ci devrait avoir des conséquences regrettables pour l’université et la recherche françaises. Elle risque de dissuader les candidats de venir étudier en France, et donc de tarir les viviers. C’est pour cette raison que neuf universités, comme Paris-Nanterre, Clermont-Auvergne, Rennes II, Aix-Marseille, Toulouse-Jean-Jaurès, Lyon II, Angers, Caen et Le Mans ont publiquement annoncé qu’elles ne suivraient pas la demande ministérielle. Le président de l’université Clermont-Auvergne, le premier à avoir officialisé la démarche, explique à Mediapart l’avoir fait car « la décision annoncée prévoit une augmentation des proportions difficilement explicable avec un calendrier impossible ».

Même la très peu rebelle CPU (Conférence des présidents d’université) a demandé en décembre la suspension de cette disposition du plan, le temps de mener une concertation. Les universités sont autonomes et, à ce titre, les réfractaires pourront avoir recours au décret du 19 août 2013 qui dispose que chaque établissement peut exonérer de frais d’inscription certains de ses étudiants. Ainsi ceux qui sont extracommunautaires pourront-ils bénéficier d’une exonération partielle, qui maintiendrait les frais d’inscription au tarif actuel.

La recherche française affaiblie

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, pourtant partisane de cette autonomie, n’envisage pas les choses de la sorte. Lors de son audition au Sénat, le 16 janvier, elle a rappelé que « les universités sont des établissements publics, opérateurs de l’État et qu’effectivement, en tant qu’opérateurs de l’État et fonctionnaires d’État, il est évidemment très important qu’ils portent les politiques publiques décidées par l’État ». La ministre a rappelé aussi « le devoir d’obéissance et le devoir de loyauté  » de « tout fonctionnaire » vis-à-vis du ministère. Le message est clair. Seulement, au-delà du signal de fermeture ainsi envoyé par le gouvernement et de la remise en cause d’une longue tradition d’accueil, des problèmes concrets vont se poser. Certains laboratoires de recherche ont besoin des doctorants pour continuer leurs travaux. Des formations prisées par les étudiants étrangers vont se vider et, à terme, peut-être fermer.

Car la mesure est aussi dissuasive. Forcément, certains candidats vont abandonner. Youcef Fellah, de l’Union des étudiants algériens de France, raconte écumer des pages et des pages de forums et de réseaux sociaux consacrées aux démarches pour entamer des études en France. Il explique y lire une forte déception parmi des candidats contraints d’abandonner leur projet. Même crainte pour Mathias Bernard, de l’université Clermont-Auvergne.

Pierre Chantelot, secrétaire national Snesup-FSU, craint le pire. «  Cela va avoir des conséquences à tous les niveaux. Le master alimente le doctorat, forcément il va y avoir moins de candidats. Des pans entiers de la recherche peuvent s’effondrer dans les laboratoires qui dépendent en partie d’étudiants étrangers. La connaissance n’est pas circonscrite à un pays, la recherche avance car les gens se mélangent."

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