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Quelques remarques sur "l’échec en licence" et les réflexions qu’il suscite - Texte de l’audition de SLU à l’invitation de Mme Martine Faure, rapporteure pour avis sur le projet de loi de finances pour 2012 (29 septembre 2011)
vendredi 21 octobre 2011, par
Le texte publié ci-dessous est une version légèrement remaniée d’un document de 15 pages transmis à la députée. Il a été rédigé par Étienne Boisserie et Alexis Grélois pour Sauvons l’Université !
Voici le questionnaire indicatif en vue de l’audition, tel qu’il avait été envoyé au préalable à SLU.
Audition de l’association « Sauvons l’Université ! », 29 septembre 2011
À l’invitation de Mme Martine Faure, rapporteure pour avis sur le projet de loi de finances pour 2012
Programmes « Formations supérieures » et « Vie étudiante »
Commission des Affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale
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Introduction sur la question de l’échec/décrochage
Le rapport Demuynck de juin 2011, ayant commencé par rappeler que le système universitaire connaît des taux de sortie sans diplôme moins important que les pays de l’OCDE, vise dans son ensemble à réduire de moitié ce chiffre, c’est-à-dire à trouver des solutions pour 1 étudiant sur 10.
C’est pour travailler sur cette fraction, si on lit bien M. Demuynck, que, « au-delà des dispositifs de soutien et d’accompagnement, c’est l’offre de formation en licence et son évaluation qui doivent se transformer pour faire réellement disparaître la fameuse « sélection par l’échec » (p. 7). « Fameuse sélection par l’échec » effectivement, lors même que les taux de diplômés correspondent à peu près aux taux de réussite au baccalauréat dont on sait qu’il est un impitoyable couperet.
Il s’agit d’un tour de passe-passe censé appuyer la profonde transformation de la licence universitaire au nom de l’échec. Selon la méthode bien connue : qui donc pourrait être pour la « sélection par l’échec » ?
C’est en s’appuyant sur ce genre de rapport et dans une forme de co-production réglementaire avec certaines organisations étudiantes que Valérie Pécresse a pu « vendre » la refonte d’arrêté licence publiée début août 2011.
D’abord s’entendre sur ce que recouvre l’échec en licence. Réfléchir sur l’échec et le décrochage suppose :
De s’interroger sur la diversité des publics accueillis à l’université, sur leur niveau initial.
De différencier selon les grands champs disciplinaires et leurs exigences.
De prendre en compte la distinction entre l’inscription administrative et l’inscription pédagogique. Dans chaque université, il existe des volants variables d’étudiants fantômes qu’aucun mécanisme supposant une présence ne parviendra à récupérer. De plus en plus fréquemment, on constate dans les jurys que les taux d’échecs sont faibles. En revanche, étudiants fantômes en nombre croissant. Ceux qui sont présents et travaillent régulièrement ont depuis plusieurs années de bons résultats parce que le système de compensation est déjà très avantageux. Donc la question est plutôt de savoir si l’on peut faire peser sur la seule université la responsabilité de la perte rapide d’effectifs observée dans les premiers mois.
Enfin, s’interroger sur les taux d’échecs, c’est aussi, effectivement, s’interroger sur des pratiques pédagogiques, sur des adaptations et des évolutions rendues nécessaires, en fonction des universités ou des disciplines. Mais le problème est alors celui des acteurs de cette réflexion.
Nous avons regroupé les questions posées en trois grands thèmes :
1/ Les réponses apportées par le gouvernement ; 2/ Les pistes suggérées par les différents rapports ; 3/ Qu’est-ce qu’une licence universitaire ? Ce qu’elle doit ou peut être.
LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LE GOUVERNEMENT
➢ Question 2 : Quel bilan tirez-vous du plan pour la réussite en licence ?
Il faut rappeler le contexte du lancement du PRL :
1/ accompagner la loi LRU, porteuse d’une différenciation accrue entre des universités de plein droit et des universités confinées pour l’essentiel à l’enseignement en premier cycle ;
2/ l’objectif était de donner des gages aux représentants étudiants et d’éviter ainsi tout mouvement de contestation.
Double avantage pour le ministère :
Il permettait de disqualifier, par un discours récurrent sur « la sélection par l’échec », les premiers cycles universitaires – et d’en justifier du même coup une nouvelle réforme radicale quelques années après la mise en place du LMD.
Or ce discours occulte de nombreux facteurs pour faire reposer sur les universités des difficultés dont elles ne peuvent être tenues pour responsables. C’est d’autant plus facile qu’il n’existe aucune statistique publique sur la réalité et le devenir des étudiants ayant disparu de telle ou telle filière durant la première année (abandon de toute étude à l’université, simple changement de filière, arrêt momentané, blocage financier…), pas plus que sur les raisons de ces arrêts dans le cursus. Les raisons sont multiples, elles ne peuvent reposer sur la seule université.
Il s’agissait de faire passer l’idée que l’amélioration de la situation dans les premiers cycles dépend uniquement de la nature de l’accueil des nouveaux étudiants (orientation, formation de type propédeutique, tutorat, enseignants référents, etc.) et non des conditions d’encadrement (nombre de titulaires enseignants-chercheurs présents dans les formations).
En bref, il s’agissait d’expliquer que les premiers cycles connaissent un taux d’échec qualifié d’ « insupportable » parce que l’on a prêté une attention insuffisante aux étudiants. Nul besoin de recruter de nouveaux enseignants-chercheurs ni de Biatoss, nul besoin de s’interroger sur les capacités matérielles d’accueil, sur les conditions de travail des agents de l’ESR ; il suffisait de mieux organiser l’arrivée des étudiants lors de leur première rentrée à l’université…
L’ambiguïté du PRL est qu’il est destiné à tous les étudiants. Quelques remarques générales :
Les groupes de niveau ne sont pas possibles ;
Il est parfois vécu par étudiants comme une punition ;
Le dispositif n’est pas coercitif, il ne permet donc pas de viser les étudiants qui en ont le plus besoin. Modalités très différentes ;
Il comporte beaucoup de dispositifs gadgets (projet professionnel en S1L1).
Certains étudiants ont de telles difficultés que la remédiation est impossible. Pour ce public, le PRL est un dispositif Potemkine. Il permet certainement de faire de jolis rapports ou de beaux dossiers de presse, mais cela ne dit rien de son efficacité, notamment pour le public le plus démuni dont les lacunes sont trop importantes au sortir du lycée. Dans la réalité, une partie du public théoriquement concerné échappe au PRL ou s’en exclut.
Localement, le PRL peut sembler avoir de bons résultats en soi, sans que cela induise de meilleurs résultats plus tard dans le cursus. Bémol : le rôle de sas du premier semestre de L1 peut ne pas être inutile par la suite, y compris pour une formation universitaire disciplinaire. Mais cela dépend du contenu des interventions, pas de leur existence.
Par ailleurs, faute de moyens, il n’a pas été à la hauteur de ses promesses. Le plus efficace, ce sont les cours de remédiation (anciennement « soutien »). Mais pour qu’un système de soutien digne de ce nom puisse être mis en place, il faut des moyens, faute de quoi une sélection s’opère : le soutien est réservé de fait non pas aux étudiants les plus faibles, mais à ceux qui sont moyens et qu’on espère, de cette façon, porter jusqu’en L3.
En toute hypothèse, ce qui est visé dans la mise en œuvre du PRL n’a rien à voir avec une formation universitaire/ disciplinaire.
➢ Question 4 : Quel est votre jugement sur l’arrêté du 1er août 2011 relatif à la licence ?
L’arrêté présente quatre caractéristiques.
Il inscrit la licence dans un continuum avec le lycée. Il tourne la licence vers le lycée et la coupe des niveaux supérieurs, M et D.
Il se fonde sur l’obsession de l’« employabilité ».
L’idée est hautement contestable : elle s’est imposée sur fond d’affaiblissement de la formation permanente et continue et consacre le refus de plus en plus prononcé de la part du monde économique de jouer son rôle dans la formation des salariés. Elle efface les différences entre les temps de la formation et ceux de l’économie. La parfaite illustration de cette obsession est le développement d’une mystique du stage, a priori vertueux et formateur pour l’étudiant.
Il renforce le risque de dissociation entre recherche et enseignement par la mise en œuvre de la modulation des services, dans le recrutement des nouveaux contractuels de l’enseignement (ni vacataires, ni enseignants statutaires mais recrutés sur CDD ou CDI grâce à l’article 19 de la loi LRU). Les effets conjugués de la politique ministérielle et de la gestion contrainte des universités passées aux RCE conduisent à confier les cours de licence à des collègues qui ne pourront plus inscrire leur enseignement dans une pratique de recherche.
Il abolit les libertés académiques. Nous avons déjà vu circuler des « référentiels de compétence » autoritaires, ineptes et idéologiques. L’arrêté prévoit que l’application par les universitaires (regroupés désormais en « équipes ») de ces référentiels sera supervisée par le recteur qui sera informé chaque année des résultats et des évaluations et pourra imposer les ajustements qu’il jugera nécessaires et en fonction de critères strictement quantitatifs.
➢ Question 5 : Que pensez-vous des référentiels de formation prévus par ce texte ?
Le primat des « compétences » (voire des « aptitudes aux compétences ») sur les connaissances, associé à la promotion d’une forme systématique de « pluridisciplinarité », sous prétexte de faciliter les passerelles entre formations, mène tout droit à une « secondarisation » des formations avec dissolution du socle disciplinaire des parcours d’étudiants.
Ces référentiels – qui découplent compétences et connaissances – sont un outil de destruction interne des formations universitaires, y compris dans leur dimension méthodologique, c’est-à-dire dans ce qu’elles apportent précisément en termes de compétences.
En outre, ces référentiels qui orientent la mise en place des futures formations constituent une grille d’évaluation, et peuvent devenir un outil de sanction des formations et des équipes. Dans le cadre d’une politique du chiffre, les résultats quantitatifs rapportés au nombre d’étudiants peuvent aisément devenir un instrument de la remise en cause de l’existence même de certaines formations, notamment dans le contexte de dévolution de la masse salariale aux universités – c’est d’ailleurs ce que suggère l’idée récurrente d’indexer les crédits sur les taux de réussite (voir infra).
LES PISTES SUGGÉRÉES PAR LES DIFFÉRENTS RAPPORTS
➢ Question 10 : Que pensez-vous de la proposition du rapport de M. Demuynck conditionnant l’inscription en licence à l’acceptation d’un contrat pour les bacheliers potentiellement décrocheurs ?
Nous rejetons catégoriquement la notion de « contrat ». Nous ne sommes pas des prestataires de services, l’étudiant n’est pas un contractant et n’a pas à l’être. L’idée est démagogique, infantilisante pour l’étudiant, juridiquement douteuse – comment s’apprécie l’exécution ou la non-exécution de leurs obligations par chacune des parties ? Quelles en sont les conséquences ? – et dangereuse.
➢ Question 11 : Quelles seraient, selon vous, les propositions de ce rapport à retenir ou à proscrire (contrats de réussite obligatoires pour les étudiants redoublants, L1 en deux ans, contrats « d’enseignant non chercheur » pour valoriser les enseignants souhaitant s’investir dans la formation, intégration du passage L1-L2 dans le calcul des moyens alloués aux universités, etc.) ?
La plupart des propositions de ce rapport montrent : 1/ une méconnaissance profonde de ce qu’est l’enseignement universitaire ; 2/ une poursuite de la l’entreprise de secondarisation de l’université ; 3/ Une volonté de destruction du statut d’enseignant-chercheur.
Concernant plus précisément celles qui font l’objet de votre question :
Les « contrats de réussite » relèvent de la démagogie et sont destinés à faire du chiffre, à briller dans des conférences de presse sur mesure et à rédiger des rapports ronflants, sans lien avec la réalité.
Le contrat d’ « enseignant non-chercheur » est un coin enfoncé dans le caractère universitaire de la formation. Mesure de fuite en avant, dernier étage de la secondarisation de l’université. Il est inacceptable parce qu’il risque de produire à grande échelle un phénomène resté marginal jusqu’ici : un enseignement dégagé de la recherche. Il est inacceptable parce que c’est ce lien qui fonde l’université et que le couper revient à renoncer purement et simplement à ce qui fait l’université.
Si l’on souhaite une université digne de ce nom, il faut réaffirmer le lien entre recherche et enseignement plutôt que de mettre en place les structures destinées à le distendre. Or ce lien est déjà rendu fragile par la charge horaire, la prise en charge d’obligations induites par le sous-encadrement administratif et par l’évaluation des EC sur le seul critère de la recherche.
L’intégration du critère du passage L1-L2 dans le calcul des moyens alloués aux universités. C’est une fausse bonne idée, qui va conduire les établissements fragiles à délivrer des diplômes sans considération de qualité. Si une telle solution devait être mise en œuvre, ne serait-ce que pour une fraction du financement, cela aboutirait à des taux de réussite d’un tel niveau que les diplômes en seraient dévalués. Est-ce là l’objectif ?
Plus généralement, la conditionnalité du financement des universités est inacceptable. Elle relève de la logique de « performance » que l’on cherche à imposer de force dans tous les secteurs de la fonction publique et qui ne peut l’être. Si l’on peut comprendre que l’université ait une obligation de moyens, elle ne peut en aucun cas avoir une obligation de résultat. Et certainement pas dans les conditions scandaleuses qui lui sont faites pour assurer ses missions.
Néanmoins, au titre des propositions de ce rapport, la réflexion sur les orientations post-bac et sur les dispositifs techniques qui l’entourent, s’ils permettent un choix plus positif de l’université et des passerelles efficaces, peuvent être des pistes utiles.
➢ Question 3 : Quels leviers faudrait-il utiliser, en priorité, pour réduire l’échec en licence (la réduction de la taille des groupes, le développement du contrôle continu, la généralisation de l’enseignant référent et du tutorat, la professionnalisation, etc.) ?
Encore une fois, pour « réduire l’échec en licence », il faut avoir répondu aux questions posées initialement dans ce document.
Pour répondre plus directement aux options suggérées :
Réduction de la taille des groupes. Le problème de taille ne concerne pas l’ensemble des disciplines. Il ne peut en outre pas être abordé sans parler des besoins en personnel et en locaux.
Derrière la question du petit groupe, se pose la question du cours magistral.
Des groupes trop petits peuvent poser des problèmes de dynamique de groupe.
Si l’on veut travailler sur la taille des groupes, cela ne peut pas être à moyens constants en personnel et il faut travailler sur la question immobilière (et donc sur les charges induites).
Noter également que, loin de permettre la réduction des tailles de groupes, les contraintes budgétaires de plusieurs universités les ont obligées à remplacer des TD par des cours magistraux (exemple connu à Reims). Que si par ailleurs, réduire les tailles des groupes consiste à faire des TD ouverts avec des volumes proches de 50 voire 60 étudiants (certaines disciplines à Reims ou à Dijon), on ne résout pas les problèmes existants et on en crée d’autres.
- L’enseignant référent : cela ne résout pas le problème déjà posé dans le cadre du PRL (contournement par les étudiants qui en auraient le plus besoin) et cela généralise les charges sur les enseignants-chercheurs. Dans les cas où s’est mis en place, les décrocheurs décrochent quoi qu’il arrive. Du point de vue des enseignants-chercheurs, c’est un dispositif qui nécessite des moyens en décharge horaire qui soient à la hauteur de la charge que cela représente. Or, pour des raisons budgétaires – et plafond d’emplois dans le cadre de la LOLF – les compensations proposées sont structurellement insuffisantes.
La professionnalisation est un sujet en soi. Ce n’est pas du même ordre que le tutorat. D’ailleurs de quoi parle-t-on quand on parle de « professionnalisation » ? Ceux qui n’ont que l’« employabilité » à la bouche veulent ignorer les réussites en termes d’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur. Ils feignent également d’ignorer les causes de l’actuelle insertion à la sortie des filières professionnelles tant vantées. Les études du Cereq consacrées aux filières d’apprentissage du supérieur montrent que l’insertion professionnelle des diplômés est corrélée à la sélection à l’entrée de ces filières et à la nature de la formation antérieure. Imaginer que le second modèle peut être étendu à l’ensemble des premiers cycles universitaires à coups de stages ou de sélection généralisée est absurde, l’affirmer est mensonger.
Question du contrôle continu. L’évaluation intermédiaire est importante pour les étudiants comme pour les enseignants. Elle permet effectivement de prendre la mesure d’une progression ou de difficultés face à certains types d’exercices, et en ce sens elle s’inscrit pleinement dans le processus d’apprentissage. Néanmoins, affirmer que la résolution des problèmes de décrochage passe par le contrôle continu est en partie un leurre ou une simplification. Pourquoi ? Ce n’est pas la perspective de l’examen final qui provoque le décrochage au premier semestre. Le contrôle continu est souvent un problème pour les salariés – problème de disponibilité, de temps de préparation. Il pose en outre un problème d’évaluation : selon les effectifs, il peut constituer une charge très lourde pour les enseignants et doit donc faire l’objet d’une organisation réfléchie, certainement pas imposée. S’il s’agit de réduire les risques d’échec, les dispositifs actuellement en place – compensations, suppression des notes éliminatoires – sont largement suffisants pour garantir à tout étudiant tant soit peu assidu l’obtention de son semestre ou de son année. En toute hypothèse, on ne voit pas pourquoi l’introduction du contrôle continu (qui existe dans un très grand nombre de formations et de disciplines) serait antinomique avec l’existence du contrôle final.
Du point de vue de l’enseignant, et non plus de l’étudiant, comment ces charges supplémentaires – qui peuvent être considérables en temps – sont-elles prises en compte ? Comment peuvent-elles être conciliées avec la poursuite d’une activité de recherche ? Ces questions sont prioritaires.
Le rapport mentionné ne répond à aucune de ces questions parce qu’il méconnaît la complexité du travail d’un universitaire, ses charges actuelles et la nature de ses obligations statutaires. Aucun rapport sur l’enseignement supérieur ne peut – ne devrait – faire l’impasse sur la nature du travail universitaire et de ses conditions spécifiques d’élaboration.
Toute réforme à moyens constants se traduit par une augmentation des charges pesant sur les personnels – y compris administratifs. Il faut commencer par là.
QU’EST-CE QU’UNE LICENCE UNIVERSITAIRE ?
CE QU’ELLE DOIT OU PEUT ÊTRE
➢ Question 1 : Quelles devraient être les finalités de la licence aujourd’hui ? À quoi ce diplôme devrait-il servir ?
La question posée sous cette forme sous-tend l’idée que les finalités de l’ESR seraient différentes aujourd’hui, en raison de « la crise », des « attentes des parents », de l’angoisse du chômage et de la pression exercée par les lieux communs sur l’échec de l’université.
Le sous-entendu de cette question est le lien « évident » entre études et professions (« servir »). Trois remarques sur ce point :
Il faut redire que ce lien, s’il n’est pas illégitime, ne saurait être le seul « indicateur » de la pertinence d’un diplôme. Autrement dit, tenir compte de la professionnalisation est important, mais ne peut constituer l’alpha et l’omega d’une formation universitaire ;
Poser la question en ces termes, c’est oublier que dans de nombreuses disciplines, il existe déjà des formations de L qui sont professionnalisantes, à commencer par celles qui préparent aux métiers de l’enseignement ;
Prendre la licence sans ignorer la concurrence qui lui est faite par les CPGE, IUT et BTS en s’appuyant sur un modèle de « réussite » qui a des causes spécifiques et en postulant des « demandes de l’entreprise » revient à nier le rôle de l’université comme lieu de production et de diffusion de connaissances.
Il faudrait par ailleurs s’interroger sur la rigidité du lien entre nature ou intitulé du diplôme d’une part, et profession exercée d’autre part. Cette rigidité n’existe pas dans d’autres pays, à commencer par les pays anglo-saxons où une formation universitaire ne préjuge pas du champ professionnel.
Avant de poser la question, il faut donc s’interroger sur la place de l’université dans l’enseignement supérieur en France, sur le mode de choix post-bac – y compris dans ses composantes techniques qui ne sont pas neutres –, avoir une réflexion sur les effets de la dévalorisation systématique de l’université dans le discours public en France.
L’acquisition et la transmission des savoirs reposent sur une temporalité différente, à moyen terme et pas sur celle de l’urgence des injonctions. L’ESR peut avoir un rôle différent de celui que l’on veut lui assigner.
On ne peut pas faire comme si l’université était responsable du chômage de masse et que, par conséquent, les finalités de l’ESR devraient être différentes parce que celle-ci serait défaillante. On prétend résoudre le problème du chômage en travaillant à une professionnalisation de la licence alors que le taux de chômage des licenciés est de 3 points inférieur à celui de la moyenne nationale.
Les entreprises ne jouent plus leur rôle de lieu de formation et en même temps elles exigent de compétences et expériences professionnelles des jeunes qu’elles recrutent. Pour répondre à ces injonctions du monde de l’entreprise, plutôt que de s’interroger sur leur approche, on privilégie la destruction de la dimension universitaire de la licence. Le problème est pris à l’envers et les conséquences – à moyen et long termes – ne peuvent être que très lourdes.
Éléments sur l’organisation générale
➢ Question 9 : Quelles devraient être les formations et organisations, tant pédagogiques qu’administratives, à mettre en place pour lutter efficacement contre le décrochage en licence ?
En plus des remarques faites plus haut sur le décrochage, il faut souligner que les étudiants seraient évidemment plus motivés pour poursuivre et achever leurs études si la société française leur offrait des perspectives d’avenir claires et attrayantes !
En outre, certaines réformes engagées par le passé, notamment la semestrialisation et le passage au LMD, ont renforcé le morcellement des enseignements. Le système d’ECTS et les mécanismes de compensation (en plus de développer une forme de consumérisme) ont multiplié les étudiants devant redoubler une année pour une ou deux UE seulement, ce qui accroît le risque de décrochage.
Il est difficile de vouloir donner des recettes applicables à toutes les licences.
La question des effectifs en TD est cruciale (l’effectif optimal devant être déterminé selon la matière), ce qui ne doit pas conduire à remettre en cause les cours magistraux dont l’objectif pédagogique n’est pas le même.
Les maquettes doivent favoriser les continuités et ménager des progressions pédagogiques entre semestres et entre années pour lutter contre le morcellement et le décrochage. Prévoir des blocs d’enseignement cohérents à fort contingent horaire assurés par le même enseignant ou par une même équipe irait dans le même sens. La progression pédagogique doit être explicitée dans la maquette envoyée au MESR en vue de l’accréditation de la licence (en revanche, le contrôle rectoral instauré par l’arrêté du 1er août 2011 doit être aboli car contrevenant à l’autonomie des universités et aux libertés académiques).
➢ Question 6 : faut-il définir des pré–requis à l’entrée de chaque licence et ce diplôme devrait-il favoriser l’acquisition d’un socle de compétences transversales ?
Définir des pré–requis signifie organiser une évaluation ou un filtre supplémentaire entre le baccalauréat et l’entrée à l’université, ce qui serait avouer que cet examen ne garantit plus que ses titulaires disposent d’un niveau scolaire leur permettant d’envisager des études supérieures. Or les réformes récentes du premier et du second degrés ont été précisément formulées en terme de « socle de compétences ». Le transfert vers le supérieur de ce type de pédagogie constitue un danger majeur pour l’université. Il faut que soit pris de nouveau au sérieux la question du savoir et de sa transmission en amont de l’entrée dans le supérieur.
Par ailleurs, comme il est politiquement impossible d’envisager une sélection à l’entrée de l’université, l’établissement de pré–requis permettrait en fait de trier les bacheliers entre ceux jugés dignes d’entrer dans les licences « d’excellence » et les autres, cantonnés dans les « portails pluridisciplinaires », condamnés à se contenter d’un « socle de compétences » et de connaissances. Les mécanismes de ségrégation sociale (et territoriale) seraient ainsi renforcés.
Il serait plus honnête d’aborder de front la question de l’accueil des bacheliers technologiques et surtout professionnels dans l’enseignement supérieur (voir plus loin, question 14).
L’opposition entre les savoirs (présupposés « abstraits ») et les « compétences transversales » (capacités rédactionnelles, réflexives, organisationnelles, relationnelles, anglais et TICE) tend par ailleurs à morceler encore davantage l’organisation de la licence.
Il convient donc de réintégrer l’acquisition des compétences requises dans les enseignements disciplinaires.
➢ Question 13 : la première année de licence devrait-elle être conçue comme une forme de propédeutique ?
Qu’entend-on par propédeutique ? S’agit-il de revenir à un système supprimé en 1968 ? S’agit-il de copier les hypokhâgnes pour des publics complètement différents ?
Est ici posée la question de la pluridisciplinarité. Celle-ci est viable en classe préparatoire avec des horaires confortables et des élèves généralement issus de milieux favorisés ou sélectionnés pour leur aptitude supposée à suivre ce type d’enseignement. Les licences ou « portails » pluridisciplinaires mis en place dans plusieurs universités posent de grosses difficultés d’organisation (emplois du temps complexes menant à des choix d’option contraints) et ne garantissent pas à leurs étudiants la maîtrise des outils des disciplines qui leur sont présentées, du fait de l’émiettement des enseignement à faibles horaires (ce qui accroît les risques de décrochage).
Les classes de propédeutiques actuellement en fonctionnement dans certaines universités (par exemple Paris-8 ou Lyon-2) sont proposées à des bacheliers dont le niveau (estimé par des tests) est trop faible pour laisser entrevoir une première année réussie sans une sérieuse remise à niveau palliant les lacunes accumulées auparavant. Mais beaucoup d’étudiants refusent ce type d’orientation qui conduit à rallonger (théoriquement) les études d’une année. Il serait par ailleurs absurde de vouloir faire de la remédiation à tous les bacheliers !
Placer ce dispositif en L1 reviendrait enfin à surcharger les années de L2 ou de L3, ou à affaiblir le niveau attendu des licenciés, et par conséquent des niveaux master et doctorat.
Il semble donc préférable de proposer aux étudiants en difficulté des dispositifs de renforcements en parallèle aux enseignements de licence, ces dispositifs ne devant pas se concentrer pendant la seule première année, mais tout au long de la licence.
➢ Question 12 : comment pourrait-on organiser intelligemment la spécialisation progressive des cursus en licence ?
De quelle spécialisation s’agit-il ? Cette formulation présuppose que la licence doit nécessairement être d’abord pluridisciplinaire. Or de nombreux bacheliers choisissent une discipline par goût ou par vocation. Ici encore, on prétend résoudre une question particulière (les réorientations) en pénalisant la majorité des étudiants, pour ne pas avouer que l’on cherche d’abord à faire des économies d’échelle en supprimant les enseignements les moins fréquentés.
Il n’en demeure pas moins qu’un reproche souvent fait par les recruteurs aux diplômés de l’université est leur manque de culture générale. Certains débouchés (par exemple l’enseignement de l’histoire–géographie) exigent la maîtrise de plusieurs disciplines.
Mieux vaudrait donc ménager des progressions introduisant une forme de pluridisciplinarité en L2 et en L3, après l’acquisition des outils fondamentaux d’un domaine disciplinaire en L1. Ce serait l’occasion de faire dialoguer les différents champs étudiés dans les universités et de développer une pédagogie proprement universitaire, en liaison avec la recherche, au lieu de copier le lycée et les classes préparatoires.
➢ Question 8 : que faut-il attendre des bi–licences ?
Ce dispositif est a priori une bonne réponse aux questions posées plus haut, puisqu’il concilie ouverture et maîtrise disciplinaire. Il fonctionne de manière très satisfaisante depuis longtemps en Allemagne, car il offre un accès approfondi à deux domaines différents, conçus comme disciplines, et bénéficie d’horaires conséquents, avec des étudiants qui sont passés par un système secondaire très sélectif.
En revanche, en France, les licences bidisciplinaires sont conçues avec des horaires insuffisants et se résument à du saupoudrage.
Par ailleurs, un certain nombre de bacheliers s’inscrit dans deux licences différentes. Ce sont souvent de bons étudiants, mais ils sont généralement conduits à abandonner l’un des deux cursus du fait de l’incompatibilité des emplois du temps.
Le développement des bi–licences est donc souhaitable, mais il doit reposer sur des accords entre composantes (départements, facultés) aménageant des formations cohérentes et viables pour les étudiants, avec des horaires conséquents. Cependant, ces licences très exigeantes en temps pour les étudiants risquent de renforcer les mécanismes de ségrégation sociale. Cette dimension ne doit pas être occultée.
➢ Question 7 : quels devraient être l’avenir et le rôle des licences professionnelles dans l’ensemble des cursus universitaires ?
Ces licences répondent à la question de la professionnalisation à très court terme. Elles ont en particulier vocation à offrir une 3e année aux étudiants issus des formations courtes post-bac, notamment les IUT. Elles ne sauraient cependant devenir un modèle pour toutes les licences, qui n’ont pas toutes pour finalité une sortie immédiate des études vers des métiers ciblés.
Liens avec le reste du système d’enseignement supérieur
➢ Question 14 : ne faudrait-il pas modifier la procédure d’admission post-bac pour mieux orienter les bacheliers et prévoir des quotas en IUT et BTS pour les bacheliers technologiques et professionnels ?
Fonctionnant selon un classement des vœux, la procédure actuelle conduit les bacheliers à privilégier les filières à effectifs limitées (de ce fait sélectives), ce qui nuit à l’image de l’université. Par ailleurs, cette procédure empêche les bacheliers de connaître toutes les possibilités de poursuite d’étude qui pourraient leur être offertes, puisque l’acceptation du premier choix qui leur est proposé leur interdit de savoir quelle réponse aurait été donnée à leur second vœu, etc.
Le système actuel multiplie en outre les inscriptions par défaut à l’université, dans l’attente d’une place en IUT ou BTS, ce qui se traduit par des « décrochages » apparents lorsque des places se libèrent dans ces filières en cours d’année.
Il convient donc d’adopter un système plus ouvert et moins lourd, tout en renforçant l’information des élèves du secondaire sur les exigences des différentes filières du supérieur. Les orientations au cours du second degré devraient être explicitées avec plus de clarté (l’inscription à l’université est parfois vécue comme une revanche fantasmatique sur les enseignants du collège ou du lycée).
Il est envisageable (à titre provisoire ?) d’envisager des quotas en IUT et BTS pour les bacheliers technologiques et professionnels de manière à réorienter ces filières vers les publics pour lesquels elles avaient été conçues et à ramener les bacheliers généraux vers les universités.
Il importe toutefois de développer le nombre de places offertes en IUT et en BTS, ce qui répondrait aux demandes des bacheliers (si l’on en croit les vœux qu’ils formulent) et de leurs familles comme des entreprises. Pour des raisons de coût, le gouvernement actuel a fait l’impasse sur cette solution et préfère favoriser des licences fourre-tout.
➢ Question 15 : faudrait-il généraliser les dispositifs de réorientation, notamment entre universités, IUT et STS, et si oui lesquels ? Que pensez-vous des semestres « tremplins » et « rebonds » ?
Il est difficile de concilier individualisation des parcours et université de masse (on ne saurait réduire un diplôme à un total d’ECTS, sauf à abandonner l’idée de diplômes nationaux et à renoncer à toute cohérence pédagogique).
Les réorientations en cours d’année ou de semestre sont très difficiles à gérer pour les équipes enseignantes comme pour les étudiants concernés. Dans les cas les plus désespérés, les semestres « tremplins » et « rebonds » sont envisageables ; ils présentent le même intérêt et posent les mêmes questions que la propédeutique. On peut aussi envisager des dispositifs plus légers organisés par les SCIUO. Une amélioration de l’orientation des bacheliers pourrait en réduire la nécessité.
L’organisation de passerelles ne peut se justifier qu’en cas de flux régulier et important d’étudiants, par exemple d’un BTS vers un master en passant par une L3 adaptée. Sinon, c’est à la commission d’équivalence de la composante d’accueil de se prononcer en établissant un projet pédagogique adapté au parcours antérieur de l’étudiant.
Et comment doivent être comptabilisés les étudiants qui bénéficient du passage vers IUT et BTS ? Comme participant au taux d’échec de la licence ? Cela signifierait, que si l’université prenait soin d’assurer ces dispositifs, elle serait en définitive pénalisée par l’approche quantitative de « l’échec ». Ce point est donc à régler préalablement. => début sur échec.
➢ Conclusions
Les mesures qui pourraient réellement améliorer les études en licence passent donc par une augmentation du temps d’enseignement proposé à la plupart des étudiants, qu’il s’agisse d’apporter un soutien efficace en cas de difficultés ou d’offrir la possibilité d’une authentique pluridisciplinarité. Or la politique actuelle fait totalement l’impasse sur les conditions de vie des étudiants, qui doivent travailler pour plus de la moitié d’entre eux et dont un sur six entre dans la catégorie « pauvre ». Il est donc inenvisageable d’augmenter le volume horaire sans revoir la politique de bourses (ou revenu d’autonomie…).
Dans le cas contraire, le déni des problèmes sociaux et économiques rencontrés par les étudiants ne peut que conduire à aggraver les mécanismes de ségrégation sociale, ainsi que les inégalités territoriales déjà renforcées par le Plan Campus et le Grand emprunt.
Enfin, de telles réformes ne sauraient réussir sans être mises en œuvre avec l’adhésion des personnels concernés, alors qu’ils sont confrontés à une multiplication des tâches et soumis à des injonctions contradictoires. La manière dont l’arrêté du 1er août 2011 a été imposé est à cet égard proprement inacceptable. Nous dénonçons aussi la volonté de découpler enseignement et recherche, de remplacer dans les cours de licence les professeurs et les maîtres de conférences par des enseignants détachés du secondaire (PrAg, PrCe) voire des contractuels, réputés plus généralistes et plus soumis aux injonctions rectorales et ministérielles. Au contraire, nous faisons le pari d’une pédagogie universitaire fondée sur l’articulation entre production et transmission des savoirs.
Étienne Boisserie et Alexis Grélois pour Sauvons l’Université !