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L’accord France - Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et des diplômes dans l’enseignement supérieur : une attaque contre l’université et la laïcité - Jérôme Gabriel et Ruben Suter, Terra Nova, 30 juillet 2009

samedi 1er août 2009, par Jompo-sorti-de-la-poubelle

En mettant fin au monopole de l’Université dans la reconnaissance des diplômes et des grades de l’enseignement supérieur, l’accord du 18 décembre 2008 entre la France et le Saint Siège marque une rupture dangereuse avec les usages et les principes républicains.

Présenté par les signataires comme une conséquence du processus de Bologne qui instaure un espace européen d’enseignement supérieur, cet accord est une remise en cause de la légitimité académique et institutionnelle de l’université. Il compromet l’enseignement supérieur catholique dans son identité et représente un recul des libertés d’enseignement et de recherche.

Enfin, il s’inscrit dans le contexte de l’ambigüité persistante de Nicolas Sarkozy vis à vis de la laïcité. En acceptant l’ingérence d’une institution d’Eglise dans les affaires éducatives, le Président laisse se produire un précédent fâcheux qui, en plus de la laïcité, sape l’idée même de « gallicanisme ». Modèle original et riche, l’université catholique française voit sa spécificité et son indépendance limitées au moment où l’Eglise, traversée de vives tensions, peine à définir son rôle dans les sociétés postmodernes.

Il reste au Conseil d’Etat, saisi de plusieurs recours contentieux contre le décret de publication de l’accord, à apprécier s’il n’était pas juridiquement nécessaire de passer par la loi, ce qui aurait en outre permis à la représentation nationale de se saisir de ce débat essentiel. Politiquement, le mal est d’ores et déjà fait.

L’accord du 18 décembre 2008 entre la France et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et des diplômes dans l’enseignement supérieur est entré en vigueur le 16 avril 2009 , l. Selon le communiqué publié par le Quai d’Orsay, « cet accord a pour objet de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologies, philosophie, droit canonique) ou profanes (toutes les autres disciplines) délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège et de faciliter les différents cursus universitaires ».

Il marque un changement profond pour l’enseignement supérieur français. En revenant sur une situation établie depuis 1880 et sur la relation existant entre universités publiques et établissements d’enseignements supérieurs confessionnels, qui accorde aux premiers une primauté de fait et le droit de contrôle sur la pertinence et la qualité académique des diplômes préparés par les seconds, il constitue une double atteinte aux principes fondamentaux de la République Française : la souveraineté nationale vis à vis d’un Etat étranger et la laïcité de nos institutions.

Pour la première fois, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche français, dispensant un enseignement de haut niveau, ne seront plus intégralement membres de la communauté éducative nationale. L’enseignement supérieur catholique, qui est une réalité mondiale, plurielle et hétérogène (1) voit, en France, son identité remise en cause ; surtout, ce texte bouleverse des équilibres (difficilement) établis, mettant un peu plus à mal l’enseignement supérieur français et confirmant l’ambiguïté du gouvernement français sur les questions de laïcité (2).

1 - L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR CATHOLIQUE, DANS LE MONDE ET EN FRANCE

1.1 - L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR CATHOLIQUE DANS LE MONDE

L’Eglise catholique revendique « le droit d’ériger et de diriger des universités qui contribuent à une plus haute culture humaine, à une promotion plus complète de la pensée humaine ainsi qu’à l’accomplissement de sa propre fonction d’enseignement » (Constitution Apostolique Bonus Pastor, art. 58, Jean-Paul II, 1988) .

L’enseignement supérieur catholique (ou d’inspiration chrétienne) représente dans le monde plusieurs milliers d’institutions et plusieurs millions d’étudiants. Sur cet ensemble, près de 2000 sont liés au Saint-Siège, dont moins de 20 en France. A la curie romaine, gouvernement de l’Eglise, seule la Congrégation pour L’Education catholique (équivalent du ministère de l’éducation du Saint-Siège) est compétente dans le domaine des universités et des études supérieures. Ce dicastère (institution de l’Eglise catholique) est garant de l’autorité de l’Eglise et de son action en matière éducative et notamment, pour ce qui nous intéresse, dans les domaines de l’éducation supérieure catholique.

- La législation canonique et les documents du concile Vatican II établissent très clairement une distinction entre les universités et facultés ecclésiastiques et les facultés et universités catholiques.

Les relations entre les premières et la Congrégation pour l’Education Catholique (Saint-Siège) sont régies par la Constitution Apostolique Sapientiae Cristiana. Cette constitution dispose notamment que les universités et facultés ecclésiastiques ne peuvent être constituées que si elles ont été créées par l’autorité du Saint-Siège, leurs statuts et les études qu’elles proposent doivent être approuvés par la CEC qui a un droit de regard sur la nomination du Président (ou Recteur). Par ailleurs, la promotion ou la nomination des professeurs est également soumise à la CEC qui doit conférer un nihil obstat .

En ce qui concerne les Universités et Facultés catholiques, leurs relations avec le Saint-Siège sont régies par la Constitution Apostolique Ex Corde Ecclesiae. Cette dernière prévoit qu’une université catholique peut être érigée et approuvée par la CEC ou par une Conférence épiscopale, par une autre assemblée de la hiérarchie catholique, par un évêque diocésain, etc. (ECE, art. 3). Ses statuts sont approuvés par l’autorité compétente. A priori, les relations du Saint-Siège avec les universités catholiques sont plus souples qu’avec les universités ecclésiastiques. Toutefois, il convient de mettre en valeur le tout premier article de cette Constitution qui confirme le « droit du Saint-Siège d’intervenir au sujet de chaque université catholique lorsque cela est rendu nécessaire » et qui insiste sur l’obligation de toute université catholique de « maintenir la communion avec l’Eglise universelle et le Saint-Siège ». Cette Constitution qui spécifie à la fois la forme et le sens de l’université catholique constitue pour le Saint-Siège un instrument de contrôle sur l’université. Si Ex Corde Ecclesiae définit l’autonomie universitaire et incite les universités catholiques à s’engager librement dans les sociétés où elles œuvrent, elle délimite implicitement les libertés académiques en octroyant au Saint-Siège un pouvoir d’intervention dont il juge seul de l’opportunité. Cette ingérence du Saint-Siège a été cause de heurts et d’incompréhension avec quelques universités catholiques européennes, dont la prestigieuse université de Louvain en Belgique .

La réalité universitaire catholique est particulièrement méconnue en France, sans doute à cause d’une carence relative en culture religieuse mais aussi, et il faut bien l’admettre, de notre système universitaire qui a tardé à s’ouvrir au monde extérieur. La richesse et la qualité des universités catholiques est pourtant une réalité et certains noms suffisent à eux seuls à évoquer rigueur intellectuelle, qualité et prestige. Georgetown University (Etats-Unis), Louvain (Belgique), Sophia (Japon) sont quelques exemples d’universités catholiques de renommée internationale. La présence d’universités catholiques sur tous les continents et dans quasiment toutes les cultures (dont celles où les chrétiens sont extrêmement minoritaires) contribue également à matérialiser la présence de l’Eglise dans le milieu des savoirs académiques, de la recherche scientifique, de la formation des adultes et de leur professionnalisation, notamment celle des élites. En effet, l’université catholique est prestigieuse et si c’est une institution privée souvent réservée à une élite sociale et culturelle, elle est également ouverte aux moins favorisés ou aux plus pauvres (c’est notamment le cas en Afrique ou en Asie). Elle est incontestablement une institution d’Eglise et est considérée comme telle par le Saint-Siège.


1.2 - L’UNIVERSITE CATHOLIQUE EN FRANCE

Un peu moins de 20 institutions d’enseignement supérieur catholique sont présentes en France et reconnues par le Saint-Siège. Leurs relations avec la Congrégation pour l’Education Catholique sont pour les unes régies par la Constitution Apostolique Sapientiae Cristiana et pour les autres par Ex Corde Ecclesiae.

Nous ne nous intéresserons pas aux premières qui, au moins jusqu’à aujourd’hui, ne délivrent que des diplômes ecclésiastiques.

Les secondes, au nombre de cinq, sont des instituts catholiques (ces institutions ne peuvent porter officiellement le nom d’université) qui délivrent des diplômes ecclésiastiques mais aussi, et surtout, des diplômes profanes. Ces cinq universités sont l’Université Catholique de l’Ouest, l’Université Catholique de Lille, l’Université Catholique de Lyon, l’Institut Catholique de Paris et l’Institut Catholique de Toulouse. Elles offrent des formations en sciences humaines et sociales, ingénierie, langues, médecine et ont chacune plus de 125 ans d’existence. Elles comptent aujourd’hui environ 60 000 étudiants et sont regroupées au sein de l’UDESCA (Union des Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholiques) qui est actuellement présidée par le Recteur de l’Université Catholique de Lyon, le Père Michel Quesnel.

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