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500 chercheurs sacrifiés : parce qu’elle le vaut bien ? - Bertrand Monthubert, le blog de Médiapart, 6 juillet 2010

mercredi 7 juillet 2010, par Laurence

Trente millions d’euros reversés à Liliane Bettencourt au titre du bouclier fiscal ? C’est le salaire de 500 chercheurs, rappelle Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur et à la recherche.

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L’affaire Bettencourt a de multiples ramifications, qui chacune nous entraîne sur la voie de l’écœurement. Que ce soit en termes éthiques ou moraux, le spectacle est affligeant. Et ce n’est pas la diversion opérée par la démission de deux secrétaires d’Etat, dont les agissements sont choquants mais d’une gravité inférieure à ceux dont Eric Woerth est soupçonné, qui calmera les citoyens excédés par la République de la collusion des puissants.

Mais le spectacle est tout autant indigne en termes politiques. Car cette affaire n’est pas seulement l’histoire d’un conflit d’intérêt, circonscrite à quelques personnes, c’est le révélateur d’un système politique. En dévoilant la remise d’un chèque de 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt au titre du bouclier fiscal, Mediapart a rendu ce dernier très concret. On a beaucoup commenté, avec raison, les relations malsaines entre le ministre du budget-trésorier de l’UMP et la société gérant la fortune de la milliardaire, dont une partie est cachée à l’étranger. Mais on n’a pas assez dit combien il peut être révoltant de voir ainsi traduits les choix politiques de Nicolas Sarkozy : ce SEUL chèque représente le salaire, toutes charges comprises, de 500 chercheurs. 500 chercheurs qui n’ont pas trouvé d’emploi en France cette année car le gouvernement refuse de développer l’emploi dans ce secteur stratégique, 500 chercheurs écœurés de ne pouvoir contribuer au développement de la recherche en France, 500 chercheurs sacrifiés : parce qu’elle le vaut bien ?

Pourtant, depuis plusieurs années, le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur se mobilise régulièrement pour demander un investissement réel dans ce secteur. A partir de 2004, le mouvement Sauvons la recherche ayant bénéficié d’un très fort soutien chez nos concitoyens, on pouvait croire que la droite avait compris qu’on ne pouvait plus traiter les chercheurs avec mépris : des créations d’emplois pour les jeunes docteurs ont eu lieu dans les trois années qui suivirent 2004 comme s’y était engagé le gouvernement suite à sa déroute aux élections régionales en plein mouvement des chercheurs.

Depuis 2007, le pouvoir joue l’hypocrisie mais se laisse parfois aller à dévoiler son vrai visage comme en témoigne le discours du président de la République à l’occasion de la cérémonie des vœux en 2009, discours qui a plongé la communauté scientifique dans la colère et la consternation. Malgré toujours plus de milliards virtuels annoncés chaque année, aucun emploi de titulaire n’a été créé dans l’enseignement supérieur et la recherche depuis 2007. Bien au contraire : selon la Cour des Comptes, en 2009 l’emploi scientifique a diminué de 1 500 postes. 1 500 emplois, c’est l’équivalent de seulement 3 chèques comme celui qui a été remis à Liliane Bettencourt.

Les jeunes chercheurs, formés dans nos écoles doctorales ou à l’étranger, et qui souhaitent enrichir nos laboratoires de leur talent, voient les portes se refermer. Les 25 CDD de la grande opération publicitaire de Valérie Pécresse « Retour post-doctorants » n’y changent rien. Seule la création d’emplois de titulaires évitera la fuite des cerveaux.

Plus généralement, les dépenses de recherche et développement en France stagnent depuis 2002, pour le secteur privé comme pour le secteur public. Dans le même temps, celles des autres grands pays, comme l’Allemagne, les Etats-Unis ou le Japon, ont fortement progressé. Trois graphiques tirés des données de l’OCDE le montrent de manière édifiante (voir mon blog pour plus de détails. [cliqez sur les images poru les agrandir, note de SLU]) :

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Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse ont promis des milliards pour la recherche. En réalité, ces sommes apparemment considérables ont surtout servi à augmenter très fortement un dispositif fiscal : le Crédit d’Impôt Recherche. Les rapports qui se succèdent font tous le même diagnostic. Le CIR bénéficie de plus en plus aux grands groupes, parfois par filiales interposées. Telle grande entreprise qui fait des milliards d’euros de bénéfices peut ainsi voir son impôt réduit de plusieurs centaines de millions d’euros. Telle autre - comme Sanofi-Avantis - peut en bénéficier tout en licenciant 1300 scientifiques. Quant au grand emprunt, il n’est qu’un artifice comptable, et Valérie Pécresse elle-même a avoué que les milliards annoncés ne seront que des millions, comme le Parti Socialiste l’a dénoncé depuis longtemps.

Le présent est sombre : qu’en sera-t-il de l’avenir ?

Dans un contexte de crise internationale dont les difficultés de la Grèce ont marqué les derniers actes, la question de la dette, et donc des dépenses et recettes de l’Etat, prend une importance croissante. Tentant de cacher sa responsabilité première dans cette situation, puisque la dette de la France a augmenté de 65% en huit années de gouvernements de droite, avec le paquet fiscal, la TVA sur la restauration, l’envolée d’un crédit d’impôt-recherche inefficace, Nicolas Sarkozy tente de se donner l’allure d’un Zorro partant à l’assaut de la réduction du déficit public qu’il a lui-même amplifié ; il n’est qu’un pompier pyromane. Sans aucun doute, tous les secteurs seront touchés ; parmi eux l’éducation se trouvera une fois de plus en tête pour les suppressions d’emplois. Cette politique est à la fois absurde et dangereuse.

La « rilance » de Christine Lagarde n’est qu’un néologisme pathétique d’hypocrisie. Peu importe le nom qu’on leur donne. « Austérité », « rigueur » : les Français savent très concrètement que ce sont des politiques qui leur font mal. En période de crise, elles ont pour conséquence de nous entraîner dans le cercle vicieux du déclin. Pendant ce temps, aux Etats-Unis, Barack Obama s’est donné deux priorités : l’éducation et la recherche (pour préparer l’avenir) et la santé (pour soulager le présent). Nous ne sommes donc pas face à un débat technique, mais profondément politique : quelles sont les priorités pour la France, quels sont les efforts que nous devons faire, quels sont les investissements que nous devons réaliser ?

Pour la droite, c’est entendu : il faut préserver les privilèges (comme le bouclier fiscal), et réduire de manière aveugle la fonction publique. Les choix budgétaires annoncés par François Baroin vont renforcer les difficultés déjà grandes des étudiants dont les aides au logement vont diminuer, et pour qui la promesse de Nicolas Sarkozy d’accorder un 10ème mois de bourse aux étudiants boursiers est sans cesse reportée. Pourtant, nous vivons depuis plusieurs années un phénomène historique et grave : de moins en moins de bacheliers poursuivent des études supérieurs, y compris chez les bacheliers généraux. Assurément leur situation matérielle est une des raisons de cette situation, comme nous l’avions écrit avec Benoît Hamon sur Mediapart. Sur le front plus général de l’enseignement supérieur et de la recherche, les annonces de François Baroin montrent que ces trois prochaines années, le budget augmentera moins que l’inflation et que la croissance : notre intensité de recherche va encore baisser.

Pour la gauche, Martine Aubry l’a redit sans équivoque, il faut créer un nouveau modèle fondé sur la connaissance. Quand les entreprises sont en difficulté, détruisent des emplois, il faut encourager la formation à tous les niveaux, il faut investir dans les fondations de notre futur développement. La recherche, l’enseignement supérieur, en font partie. Alors que la droite prétend les soutenir mais ne fait que renforcer son contrôle sur les choix scientifiques, qu’elle promet de faire demain ce qu’elle n’a pas fait hier, nous voulons redonner confiance aux chercheurs, leur laisser plus de liberté d’initiative scientifique, les respecter, créer les conditions de l’attractivité pour les jeunes grâce à un plan pluriannuel d’emploi scientifique qui pourrait être mis en place immédiatement en réorientant les chèques de Liliane Bettencourt et de ses amis richissimes. Notre modèle est une véritable fabrique de l’avenir, de notre avenir, quand la droite abîme jour après jour la République et casse les piliers de notre futur.