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Les ravages de la LRU (185) - par Fabienne Toupin, maître de conférences à l’Université de Tours - Blog de Bernard Gensane, NouvelObs.com, 2 décembre 2010

jeudi 9 décembre 2010, par Elie

Quelques réflexions vibrantes, concrètes, argumentées de Fabienne Toupin, maître de conférences à l’Université de Tours. La LRU telle qu’elle est subie au jour le jour, telle qu’elle impose un quotidien de tensions et prépare des lendemains très sombres. Un hiver glacial pour une génération d’universitaires.

Réflexions à l’occasion du quarantième anniversaire de l’Université François-Rabelais de Tours

Il y aura bientôt deux mois (du 6 au 10 octobre 2010), l’Université François-Rabelais de Tours fêtait les quarante ans de sa fondation. Cet anniversaire, que le Président de l’Université concevait comme "un événement exceptionnel de grande ampleur à fort retentissement" [1], ne fut en fin de compte que ce qu’il promettait d’être, c’est-à-dire décevant sur le plan du contenu culturel [2], et en tout état de cause très en retrait à ce niveau par rapport aux actions menées dans la cadre de la longue grève de 2009 (laquelle avait vu se dérouler conférences en amphithéâtre ouvertes à tous, cours hors les murs, lectures publiques de La Princesse de Clèves, ...). Moment remarqué – à défaut d’être remarquable – dans ce que le discours de la communication et du marketing appellerait un "événementiel", il fit également grincer bien des dents par les budgets importants qui y furent engagés [3], au moment même où, exemple parmi une foule d’autres, se mettait en place une "mutualisation" des préparations aux diverses Agrégations avec les universités voisines de Poitiers et Limoges, dans des conditions difficiles pour les étudiants et les enseignants.

Les célébrations du quarantième anniversaire de l’Université François-Rabelais fournissent l’occasion de réfléchir à la situation actuelle de cet établissement, fruit de l’évolution qu’il a connue dans un passé plus ou moins récent, mais accélérée depuis l’application de la loi "Libertés et Responsabilités des Universités" [4]. C’est aussi l’occasion de réfléchir au type de lien social, de vivre-ensemble, promu (promis ?) par cette évolution.

Ce qui suit représente le point de vue d’un enseignant-chercheur, en poste à l’Université François-Rabelais depuis 1995, sur cette évolution. Le point de vue se concentrera sur les questions d’enseignement, ce qui par définition n’est guère satisfaisant aux yeux d’un enseignant-chercheur. Il serait ainsi opportun d’examiner dans quelle mesure certaines composantes de l’Université de Tours ne sont pas en train de sacrifier la recherche à un enseignement de type "collège universitaire" [5]. Cependant, les questions liées à la recherche ou aux tâches administratives assurées par les enseignants-chercheurs méritent des développements de plein droit, et elles ne seront pas directement abordées ici. Dans la suite du texte, par souci de simplicité, il est fait référence aux enseignants et enseignants-chercheurs par le terme d’enseignants.

La loi LRU est une double entreprise de déréglementation et de bureaucratisation de l’Université française, issue du processus de Bologne [6]. Elle met en place, à l’échelle de la France, "l’économie de la connaissance" et sa financiarisation, ainsi que le réseau de signifiants du discours néo-libéral qui dit cette économie. Ainsi, l’Université d’hier avait des fondateurs et même des refondateurs – tel Marc Bloch –, celle d’aujourd’hui a des acteurs et des décideurs. Tel est du moins le cas de l’Université François-Rabelais [7]. Acteur est un terme très ancien en français, y compris avec ce sens de "qui agit" qui sera repris par la science économique du 20è siècle. Il relève de l’isotopie de l’action et du mouvement, que notre époque brandit comme bons en soi et dispense donc de décliner leur finalité (cf. La Nouvelle République du 08/10/2010, p.44, "L’ennemi, c’est l’immobilisme", titre d’une interview de J.-P. Raffarin). Décideur, quant à lui, est la traduction-adaptation récente en français du concept anglo-saxon de decision maker ; le terme ne figure pas en tant que tel dans le Trésor de la Langue Française Informatisé, par exemple, mais on en trouve une mention sous l’entrée top man, ainsi défini par ce dictionnaire : "subst. masc. Homme important, décideur d’un groupe industriel, bancaire, etc.". Le contexte de la définition est éloquent et dit assez que l’Université a désormais fait place à l’entreprise académique [8]. La communauté (universitaire ?) est d’ailleurs rassurée de savoir que selon les lois de la bonne gouvernance [9], l’Université de Tours conclut des "partenariat[s] gagnant – gagnant" [10] et "se positionne pour les investissements d’avenir" [11].

Le but des mutations en cours est d’installer la compétitivité, ce qui suppose en particulier une baisse des coûts. Elle est obtenue, entre autres, par des économies d’échelle impliquant, dans le meilleur des cas, le regroupement de structures jusqu’alors distinctes, voire la fermeture pure et simple de structures jugées non rentables. Tel est sans doute le sens d’une série de fusions en cascade opérées à l’Université François-Rabelais dans la décennie 2000. Pour s’en tenir aux secteurs des lettres et des langues, fusion en 2003 des deux UFR "Anglais-LEA" et "Lettres" en une UFR "Lettres & Langues" ; fusion en 2008 des départements de latin et de grec en un département d’"Études grecques et latines" ; fusion proposée en 2010, mais finalement rejetée, de ce dernier département et de celui de "Français" en un grand département de "Lettres" absorbant bientôt celui de "Littérature comparée" ; rumeurs persistantes parmi les personnels de fusion projetée des deux UFR "Lettres & Langues" et "Arts et Sciences humaines" en une grande UFR, etc. Le département de russe a fermé en 2001 ; ceux d’allemand et d’italien se savent régulièrement menacés. Et derrière ces départements, c’est bien, dans le jargon technique, les spécialités qui sont visées, car ce sont elles qui sont jugées trop coûteuses. Par exemple, pour fixer les idées : spécialité allemand dans un Master de Langues, Littératures et Civilisations Etrangères, spécialité anglais-russe dans une Licence de Langues Etrangères Appliquées, etc.). Par ailleurs, un récent vote du Conseil d’Administration fixe des seuils d’ouverture pour chacune des deux années de master (15 étudiants en M1, 10 en M2), que certaines formations seulement sont sûres de pouvoir atteindre, ce qui permet de fait d’autres types de fermeture. Dans le même ordre d’idées, les instructions données par le Recteur de l’Académie Orléans-Tours en mai 2010, fixant à 18 inscrits le seuil d’ouverture pour une préparation à l’Agrégation interne, se sont avérées redoutablement efficaces : pas une seule préparation à l’Agrégation interne ne put ouvrir à la rentrée 2010 dans une UFR comme "Lettres & Langues", dont presque tous les départements et filières sont concernés par les concours d’enseignement. Paradoxalement, d’autres économies encore sont réalisées par la non-ouverture de formations présentant pourtant des gages de succès – par leur originalité, par les chances d’insertion professionnelle offertes et donc par le nombre d’étudiants potentiellement attirés. Un cas particulièrement instructif à cet égard est celui du cursus anglais-chinois en Langues Étrangères Appliquées, dont la non-ouverture a été annoncée en mars 2010, sans que des explications écrites soient fournies et alors que le dossier administratif était dûment passé par les toutes les étapes requises, jusqu’au rapport positif de l’Agence d’Évaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et alors que l’information sur l’ouverture du cursus avait été donnée lors de la "Journée Portes Ouvertes" de l’Université.

La financiarisation du travail fourni dans les universités suppose des indicateurs pour faciliter la comparaison entre établissements et entre universitaires. Dans le domaine de la recherche, le fameux "classement de Shanghai", basé sur des critères bibliométriques, a été à juste titre violemment dénoncé comme l’instrument privilégié du benchmarking [12]. Dans le domaine de l’enseignement également, le fétichisme des chiffres est de mise et porte plusieurs noms : taux de réussite aux examens, employabilité et évaluation. Pour reprendre une distinction faite par DLA37 (voir ici même, note 4), le premier indicateur mesure plutôt la performance du point de vue du contribuable (productivité du service), le second plutôt du point de vue du citoyen (capacité d’une politique publique à modifier l’environnement socio-économique), tandis que le troisième calcule l’état de satisfaction des demandes, le point de vue étant celui de l’usager, en l’occurrence l’étudiant. Quoique différents, les trois indicateurs sont regroupés ici car ils relèvent d’une même volonté de mesurer la performance.

Au niveau national, les sommes allouées aux différentes UFR par une université sont désormais fonction du taux de réussite aux examens ; localement, cela représente environ 10% du budget des UFR, les 90% étant (encore) pour l’essentiel fonction du nombre d’étudiants inscrits. La mesure de la performance se fait donc surtout, pour le moment, au travers du taux d’employabilité des diplômés sur le marché du travail. Il s’agit là encore d’un problème de portée nationale, découlant de la nouvelle mission dévolue aux universités par la loi LRU, qui dans son titre premier, "Les missions du service public de l’enseignement supérieur", article 1, indique "l’orientation et l’insertion professionnelle" à côté de missions traditionnelles comme la formation initiale et continue, la recherche, la diffusion de la culture et de l’information scientifique. À Tours, on ne peut qu’être frappé par la rapidité et la profondeur des changements induits par cette nouvelle mission. Les "maquettes" de diplômes, actuelles ou présentées pour le prochain contrat quadriennal (2012-15), sont littéralement minées par des enseignements dont la visée est l’orientation et l’insertion professionnelle : en première année (L1), l’UE libre "Préparer son projet de formation et professionnel" et autres "MOBIL" [13] – la prolifération du sigle (à valeur potentiellement humoristique) étant sans doute un indicateur de la bureaucratisation croissante des pratiques universitaires ; en deuxième et troisième années (L2 et L3), l’UE libre "Approche de l’entreprise humaine et responsable", organisée en partenariat avec le Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise ; en troisième année (L3), se rajoutant à MOBIL, l’UE libre "Apprendre à valoriser ses compétences" ; en master (M1), les modules "Élaborer son projet professionnel" et "AvanThèse"® (cette dernière formation, élaborée par l’Association Bernard Grégory en partenariat avec l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie, étant, on le note, une marque déposée) ; en doctorat, le module "Connaissance du milieu économique et des entreprises", le séminaire "Projet professionnel" – et pour tous les étudiants, l’incontournable Training Job Dating [14]. Dorénavant, selon les décisions du CEVU et du CA [15], se déroule chaque année dans les locaux d’enseignement une "Semaine de l’Insertion Professionnelle" (inévitablement : SIP), qui comprend une journée "banalisée" : cela signifie que les différents ateliers, tables rondes, etc. organisés dans ce cadre prennent le pas sur les enseignements, qui sont d’office déplacés sur une treizième semaine à la fin du premier semestre. Le processus est automatisé grâce à l’outil informatique de gestion des salles ; il échappe au contrôle des enseignants et crée en outre un rallongement tacite de l’année universitaire, traditionnellement constituée de deux blocs de douze semaines.

Ces évolutions affectent les missions mêmes des personnels de l’Université de Tours, qui se voient proposer des formations "pour leur permettre d’acquérir une méthodologie de l’accompagnement, de connaître le marché de l’emploi et les ressources à leur disposition. Ainsi, ils pourront répondre au mieux aux questions des étudiants et les accompagner vers leur insertion professionnelle" [16]. Elles affectent aussi très profondément les étudiants. Comme le processus observé localement trouve de nombreux échos nationaux et transnationaux, il ne paraît pas inopportun ici de citer une philosophe américaine commentant le recul des humanités : "De profonds bouleversements sont en train de se produire dans ce que les sociétés démocratiques enseignent aux jeunes et nous n’en avons pas encore pris toute la mesure. Avides de réussite économique, les pays et leurs systèmes éducatifs renoncent imprudemment à des compétences pourtant indispensables à la survie des démocraties. Si cette tendance persiste, des pays du monde entier produiront bientôt des générations de machines utiles, dociles et techniquement qualifiées, plutôt que des citoyens accomplis, capables de réfléchir par eux-mêmes, de remettre en cause la tradition et de comprendre le sens des souffrances et des réalisations d’autrui." [17]

Dans ce contexte vient de paraître le premier palmarès des universités françaises en fonction de l’insertion professionnelle de leurs étudiants : Le Figaro Magazine du 15/10/2010 publie en exclusivité ce palmarès par discipline et par université, basé sur le taux d’insertion des diplômés à bac + 5 au bout de 30 mois [18]. Demain, si le chômage des jeunes ne venait hélas pas à reculer, il serait d’autant plus aisé d’en faire porter le fardeau à l’Université, en prétendant qu’elle manque de mobilité, de souplesse, d’adaptabilité, qu’elle est arc-boutée sur ses savoirs classiques, voire archaïque. Les grosses ficelles du procédé seraient d’autant plus honteuses que le contexte est dramatique, un jeune sur deux se déclarant angoissé devant son avenir [19].

Un autre indicateur de la performance est l’évaluation, qui concerne désormais toutes les catégories de personnel. Les personnels BIATOSS ont vu leur notation remplacée par une procédure d’évaluation basée sur un entretien avec le chef de service, selon un schéma bien connu dans les entreprises privées : le fonctionnaire doit concevoir, situer et intégrer son projet de carrière dans le cadre du projet de service ou d’établissement, présenter un bilan de son action en confrontant objectifs et résultats et faire état de son projet de formation continue. L’évaluation n’avait pas été, jusqu’à présent, mise en place pour les enseignants, mais la loi LRU y met bon ordre : l’article 6 du décret du 25 avril 2009 sur le statut des enseignants-chercheurs institue une évaluation au moins tous les quatre ans, ainsi qu’à chaque promotion. Cette évaluation repose sur un rapport écrit de l’intéressé sur sa recherche en direction de la section compétente du Conseil National des Universités (CNU) et sur l’avis du Conseil d’Administration siégeant en formation restreinte, avis transmis au CNU et qui concerne l’action pédagogique et les tâches d’intérêt général effectuées par l’enseignant-chercheur. Mais les enseignants sont concernés par une autre procédure encore : l’évaluation des enseignements par les étudiants, qui est inscrite dans la loi par un arrêté datant du 9 avril 1997. À l’Université François-Rabelais, cette évaluation a été rendue obligatoire dès le contrat quadriennal 2008-11, et l’établissement a fait le choix du système informatisé EvaSys, dont l’emploi n’est pas imposé pour le moment. Dix questions ont été retenues à titre obligatoire pour toutes les formations (filières ou départements), ces dernières ayant la latitude d’ajouter des questions, mais uniquement celles tirées d’un catalogue commun si elles recourent au système EvaSys. Dans ces conditions, impossible au département d’allemand, par exemple, de sonder les jeunes germanistes sur la proportion de cours d’allemand pour spécialistes (i.e. de cours non mutualisés avec les spécialistes d’autres disciplines) qu’ils reçoivent dans leurs enseignements hebdomadaires au niveau master. Parmi les dix questions obligatoires :

Pour lire la suite.


[1Extrait d’un message électronique de Loïc Vaillant aux personnels du 20 septembre 2010.

[2Le programme des 40 ans de l’Université peut être consulté à la page suivante :

http://www.univ-tours.fr/69423100/0/fiche___pagelibre/&RH=ACCUEIL_FR&RF=1277369319844 (dernière consultation par l’auteur : 24/10/2010).

[3Le Conseil d’Administration a voté un budget de 80 000 €, auxquels s’ajoutent 20 000 € pour la cérémonie de remise des diplômes de docteur honoris causa, qui se déroulait en même temps que les célébrations du 40ème anniversaire. Mais les dépenses effectives et leur détail ne seront connus que lorsque l’exécution du budget de l’Université sera rendue publique au début de l’année 2011.

[4Cette loi, dite loi LRU, a été promulguée le 10 août 2007 et mise en application depuis lors par paliers, à Tours comme dans toutes les Universités françaises. Le texte de la loi et de nombreuses analyses se trouvent sur le site de l’Association "Sauvons l’Université" : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?rubrique3

On pourra aussi consulter l’analyse de DLA37 (pour Décentralisation, LOLF, AGCS), commission née du mouvement de grève de mai-juin 2003 déclenché par la réforme des retraites dans la fonction publique et la loi de décentralisation. Cette commission a pour but de faire une étude précise des textes (rapports, lois, décrets, concernant la réforme de l’Etat), de fournir les informations et des textes d’analyse diffusables :

http://commissiondla37.pagesperso-orange.fr/loi_LRU.html (dernière consultation par l’auteur : 03/11/2010).

[5Une alternative claire semble désormais se présenter aux formations d’enseignement supérieur françaises : d’une part, une douzaine de "pôles d’excellence" (de grands campus à Paris et dans les principales villes de province), d’autre part des "pôles universitaire de proximité" (inévitablement : PUP). La Ministre Valérie Pécresse a expliqué devant l’Assemblée nationale, le 26 octobre dernier, qu’elle souhaite multiplier les PUP, qui ont vocation à rassembler dans "un premier cycle universitaire fondamental [...] les classes préparatoires, les classes de BTS, les IUT, les licences, jusqu’à la licence professionnelle". Cela "aurait vocation à dynamiser l’enseignement supérieur dans les villes moyennes" (consulter par exemple à ce sujet le blog de "Gaïa Universitas").

[6Sur les origines idéologiques de la loi LRU, voir en particulier le documentaire "Universités, le grand soir" réalisé par Thomas Lacoste (coll. Réfutations), disponible auprès de L’Autre Association, 3 rue des Petites Ecuries, 75010 Paris ou sur le site www.lautrecampagne.org, ainsi que le dossier publié par La Revue Internationale des Livres & des Idées ("France/Etats-Unis. Feu sur l’Université !") dans son numéro 11, mai/juin 2009, pp.22-39. Voir également l’analyse de Bernard Gensane :

http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/11/15/a-propos-du-cahier-des-charges-des-universites.html.

ainsi que Le Cauchemar de Humboldt, 2008, sous la direction de Franz Schultheis, Maria Roca i Escoda et Paul-Frantz Cousin, Raisons d’agir (Coll. Cours et Travaux). Une recension de cet ouvrage :

http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/tag/cauchemar+de+humboldt.

[7On s’en convaincra par exemple en comparant les titres suivants : "Marc Bloch (1886-1944), refondateur de l’université française ?" et "Naissance et développement de l’Université de Tours : témoins, acteurs, décideurs". Le premier est le titre d’une conférence donnée par un historien, le second est l’intitulé d’une table ronde, les deux événements ayant fait partie d’un même cycle de conférences sur le thème "L’histoire des universités : quelles perspectives ?", cycle organisé précisément dans le cadre de l’anniversaire des 40 ans de l’Université François-Rabelais. Cf. http://www.univ-tours.fr/1284731370705/0/fiche___actualite/ (dernière consultation par l’auteur : 27/09/2010)

[8Dans le même ordre d’idées, dans les projets écrits de statuts pour le futur campus de Saclay, paragraphe n°3, la finalité de ce campus est ainsi caractérisée : "s’appuyer sur les 3 acteurs clés qui font avancer ensemble la connaissance et la société : l’enseignant, le chercheur et l’entrepreneur". Les élus FSU et SLR, CFDT, SES-CGT, SNTRS-CGT, UNSA SNPTES, ont proposé une lecture très critique de l’ensemble de ce texte et l’ont vivement dénoncé lors de la réunion des Conseils statutaires CA-CEVU-CS-CTP, le 20 octobre 2010.

[9Pour le concept de "(bonne) gouvernance", on pourra se reporter à l’article suivant, de Bernard Cassen : http://www.monde-diplomatique.fr/2001/06/CASSEN/15272.

Plus récemment, Yves Macchi, dans une communication intitulée "La métaphore guerrière et la novlangue managériale dans le discours institutionnel sur l’université" (Journée d’études organisée à Lille 3 par l’Observatoire des Pratiques Discursives, en mars 2010), définissait ainsi la "gouvernance" : "[...] francisation du terme anglais corporate governance, qui désigne l’ensemble des mécanismes permettant à une entreprise privée d’aligner son fonctionnement sur les objectifs qui lui sont assignés. Concept central dans le nouveau management public, le terme de gouvernance apparaît pour la première fois à l’université dans la loi LRU de 2007, dont la finalité était de concentrer la totalité des pouvoirs de décision entre les mains du président et du conseil d’administration. Geneviève Azam (2009) démontre que l’emploi de cet anglicisme permet de rendre tabou le terme de gouvernement et de créer l’illusion que tout rapport de pouvoir vertical et de contrainte hiérarchique a disparu d’une organisation. Je la cite :

La gouvernance, c’est quoi ? C’est le fait de ne plus oser prononcer le terme de gouvernement, le terme de pouvoir, le terme de politique qui, dans l’ordre néolibéral, sont devenus quasiment des grossièretés […]. On préfère bien plus une espèce de magma universel d’un pouvoir qui n’existe pas : il n’y a plus de pouvoir, c’est la fin de l’histoire, on nous l’a dit. Il y a des forces anonymes qui ont en plus cette possibilité merveilleuse de s’autoréguler de manière spontanée. (Geneviève Azam, "Du processus de Bologne à la loi LRU, une catastrophe annoncée" - Retranscription d’une communication faite à l’Université de Toulouse-Le-Mirail en mars 2009, accessible sur le site des POOLP)

Idéologiquement, en somme, la gouvernance, c’est un pouvoir qui s’auto-régule sans aucun des défauts traditionnels du gouvernement, et qui n’a donc plus besoin de contre-pouvoirs, étant à lui-même son propre contre-pouvoir. Ce qui dirige l’université, ce ne sont pas des personnes exerçant un pouvoir, c’est un système auto-régulé, une mécanique anonyme et inidentifiable, à laquelle nul ne peut plus s’opposer : il n’y a plus de pouvoir et tout conflit à l’intérieur de l’entreprise devient ainsi inconcevable et inutile. On voit bien, avec cet exemple, comment l’emploi d’un terme jargonnant permet d’agir directement sur le système de croyances des individus en jouant le rôle d’un écran de fumée idéologique : c’est précisément au moment où dans chaque université se met en place une oligarchie dotée de pouvoirs sans précédent, que se répand un terme cache-sexe destiné à masquer et à nier l’existence même de tout pouvoir. C’est bien plus qu’une coïncidence."

[10Nous avons encore affaire à une francisation, cette fois, de l’expression anglaise win-win (a win-win agreement/situation). Cette expression d’origine américaine date des années 1960.

[11Cf. respectivement : http://www.univ-tours.fr/1289209022349/0/fiche___actualite/&RH=ACCUEIL_FR (dernière consultation par l’auteur : 20/11/2010) et Rabelais Mag’ n°1, octobre 2010. Ce magazine n’offre pas de pagination ; la formule citée se trouve dans l’article "Devenir une université européenne".

[12Selon le contexte, benchmarking se traduit par "étalonnage" ou "référenciation", le substantif benchmark signifiant "point de référence", "repère". Les premiers exemples attestés donnés par l’Oxford English Dictionary datent des années 1970 et s’appliquent à deux domaines spécialisés, l’informatique et les affaires (OED, s.v. benchmarking : "2. Business. A process in which a business evaluates its own operations (often specific procedures) by detailed comparison with those of another business (esp. a competitor), in order to establish best practice and improve performance ; the examination and emulation of other organizations’ strengths.")

[13L’acronyme signifie : "Module d’Orientation, Bilan, Insertion des Licences" et sa présence a été rendue obligatoire dès 2012 dans toutes les Licences à l’Université de Tours.

[14Extrait de la plaquette "Pour réussir demain, soyez actif aujourd’hui !", publiée par l’Université François-Rabelais en octobre 2010. La langue anglaise est parfois très imprécise, surtout quand elle est utilisée par des Français qui ne la connaissent pas. Training job dating peut signifier, selon le contexte : prise de rendez-vous pour un boulot d’entraînement, prise de rendez-vous pour un stage, et, pourquoi pas, prise de rendez-vous de boulot pour l’entraînement. En tout état de cause, cette expression qui se veut anglaise, ne devrait pas figurer non traduite dans un document émanant d’une université française. Or, dans l’esprit des concepteurs de la plaquette, elle est censée signifier "entraînement aux entretiens de recrutement", ce qui est impossible : ce sens ne pourrait être rendu en anglais que par job-dating training ! Le ridicule est donc double.

[15Deux des trois conseils centraux d’une université, respectivement Conseil des Études et de la Vie Universitaire et Conseil d’Administration.

[16Nouvel extrait de la plaquette "Pour réussir demain, soyez actif aujourd’hui !", publiée par l’Université François-Rabelais en octobre 2010.

[17Martha C. Nussbaum, "Une crise planétaire de l’éducation", Courrier International du 20/11/2010 ; traduction d’un article paru dans The Times Literary Supplement du 24/06/2010.

[18Ce palmarès est repris dans La Nouvelle République du 22/10/2010.

[19France Inter, résultats d’un sondage IPSOS pour le Secours Catholique diffusés lors du journal de 19 h le 20/09/2010.