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« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité ni cet excès d’honneur, ni cette indignité », blog de J.-L. Vayssière, président de l’UVSQ, 27 novembre 2013.

mercredi 27 novembre 2013, par Jara Cimrman

Depuis quelques jours, articles de presse et déclarations publiques se multiplient à propos de notre université. L’annonce d’un exercice déficitaire pour la seconde année consécutive et, surtout, d’un épuisement du fonds de roulement ont provoqué un déferlement de critiques à notre égard. Alors qu’il était difficile jusque-là d’animer le débat public à propos des difficultés des universités françaises, de l’illisibilité de leur positionnement dans le paysage de l’enseignement supérieur et des conséquences prévisibles de leur sous-financement chronique, je constate que le sujet est devenu vendeur, dès lors qu’il peut être mis en scène et dramatisé par la désignation publique de coupables livrés à la vindicte collective.
Je ne cherche pas à nier la position financière difficile dans laquelle se trouve l’UVSQ, qui accuse un déficit de fonctionnement de 7,2 millions d’euros (soit environ 4% de son budget). Je ne cherche pas non plus à minimiser ma part de responsabilité dans cette situation : j’ai plus d’une fois tiré une grande fierté des succès de notre université, ce n’est pas aujourd’hui, alors que le vent est contraire, que je renoncerai à assumer mes engagements. C’est la raison de mon silence sur ce blog durant ces dernières semaines, puisque j’ai voulu consacrer tout mon temps et toute mon énergie aux échanges avec notre tutelle et avec le personnel et les étudiants de l’université, pour trouver une issue positive à la crise. Mais c’est aussi la raison de mon intervention aujourd’hui.
Avons-nous fait des erreurs stratégiques et de gestion ? Sans doute, car les partenariats public-privé ou la sous-traitance de certaines missions auraient pu être mieux négociés. Mais nous payons aussi le prix de notre dynamisme depuis 2007. Sous-encadrée du point de vue du personnel administratif, notre université a pourtant choisi de passer très vite à l’élargissement de ses compétences (RCE), pour entamer dès que possible une nécessaire mutation vers un nouveau mode de gestion. L’état général des finances universitaires montre que nous ne sommes pas les seuls à avoir dû affronter une tâche qui était, on peut le mesurer aujourd’hui, en partie au-dessus de nos forces de l’époque.
Pour affronter cette tâche, nous avons dû recruter, pour nous adjoindre de nouvelles compétences professionnelles. C’est ce qu’on nous reproche aujourd’hui, de même que l’augmentation du coût des enseignements (qui ont eux aussi nécessité des recrutements). Mais il me faut rappeler encore une fois que l’université est encore à l’heure actuelle sous-dotée d’environ 150 emplois selon le modèle d’allocation des moyens du ministère : comment alors pouvoir développer une politique de recherche et de formation digne de ce nom, alors que nous sommes structurellement en déficit de moyens ? Et comment rester muet, quand on accuse aujourd’hui l’UVSQ d’avoir présenté un budget « insincère » parce que nous avions surestimé nos recettes, comme si cela n’arrivait pas au budget de l’Etat lui-même, et comme si notre objectif avait été de détourner l’argent public, alors même que nous ne faisions qu’essayer de remplir notre mission de service public ?
La réalité, c’est que, depuis 2007, l’UVSQ s’est investie avec énergie et courage dans les grandes réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche, malgré la faiblesse de ses moyens. Cet engagement a permis d’obtenir de vrais succès, comme en témoignent la hausse de 37% des effectifs étudiants entre 2006 et 2012, les indicateurs de réussite en licence et l’insertion professionnelle des diplômés, mais également le niveau de compétences en recherche, reconnu par des succès aux appels à projet des Investissements d’Avenir, et la qualité des relations avec le tissu-économique territorial. C’est dans cette dynamique que les équipes de l’UVSQ, pourtant déjà largement débordées, ont depuis plus d’un an consacré l’essentiel de leurs forces à participer à l’ambitieux projet d’Université Paris-Saclay, avec l’encouragement du ministère.
Voilà le contexte dans lequel, depuis l’automne 2012, nous avons commencé à mettre en œuvre des mesures financières correctives. Ainsi, sur ma proposition, le conseil d’administration de l’UVSQ a adopté le 28 mai 2013 un plan pluri-annuel de retour à l’équilibre financier. C’est l’ensemble de l’université qui est aujourd’hui engagé avec courage dans un effort de redressement, respectueux des engagements, mais aussi des personnels, des étudiants et de notre mission de service public.
Alors même que notre université est livrée aux critiques les plus sévères, j’ai pu constater ces dernières semaines le sens des responsabilités, la solidarité et l’attachement aux valeurs universitaires de l’ensemble de notre communauté, dont je veux ici saluer le soutien, qu’il s’agisse des personnels enseignants et administratifs ou des étudiants.
C’est d’abord pour défendre cette communauté, ses principes et son projet intellectuel et humain que je veux m’exprimer ici. Je veux dire clairement que la mise en cause actuelle de notre université est injuste et inacceptable. Je refuse que notre université, qui n’est pas, et de loin, la seule en situation financière difficile, soit érigée en exemple négatif parce qu’elle est plus jeune, plus fragile et sans doute moins redoutée politiquement que d’autres. J’ai du mal à comprendre que soit utilisé dans la presse le relevé confidentiel d’observations provisoires de la Cour des Comptes, dont la fuite opportune ne dérange apparemment personne, et que soient repris des contre-vérités, jusque dans les détails (hier, parmi tant d’exemples, la mise en cause dans Challenges de la licence « musiques anciennes et monde contemporain » pour avoir seulement quelques étudiants, alors que c’est une licence réalisée en partenariat avec le Conservatoire de Versailles, entièrement mutualisée avec des licences disciplinaires de SHS, et donc sans enseignements ayant un coût supplémentaire…). Je peine aussi à accepter que les services de l’Etat, qui sont bien sûr dans leur rôle concernant leur activité de contrôle et qui ont pointé de véritables problèmes de notre université, choisissent systématiquement d’intervenir négativement à propos de l’UVSQ, tout en nous plaçant devant de véritables injonctions contradictoires : dans les mêmes semaines où le coût de nos enseignements était dénoncé, nous recevions l’ordre d’ouvrir des places supplémentaires dans certaines formations, au coût parfois très élevé et que nous tentions justement de contrôler !
Je regrette d’autant plus cette situation qu’il me semble que nous partageons un objectif commun, celui de l’amélioration du service public d’enseignement supérieur, et un intérêt commun, celui de sortir non seulement notre université, mais l’ensemble des établissements en difficulté, de cette crise économique. La stigmatisation n’a jamais aidé à avancer dans la construction d’un projet collectif. Derrière les effets de communication, il y a des personnels, qui travaillent et qui craignent parfois pour leur emploi. Il y a des étudiants, qui aspirent à recevoir une formation de qualité. Il y a des familles, qui s’interrogent sur les choix d’orientation de leurs enfants, et des territoires, qui vivent en étroite relation avec leur université. J’aimerais que celles et ceux qui s’expriment sur cette question ne l’oublient pas.
Si l’UVSQ a le malheureux privilège de servir de repoussoir actuellement, n’oublions pas non plus que nos maux sont ceux de l’ensemble du système universitaire, comme je l’ai déjà souvent expliqué dans mes interventions sur ce blog. Comme Thomas Piketty l’a encore souligné la semaine dernière, l’université française est dramatiquement sous-financée. Que nous ayons à faire des progrès en matière de pilotage et de gestion, c’est une chose évidente. Mais ne cachons pas un problème structurel derrière des difficultés conjoncturelles : je suis confiant dans la capacité de notre université, comme celles des autres universités françaises, à rétablir leur équilibre financier. Cependant cela ne fera qu’accentuer ce que T. Piketty a appelé « la faillite silencieuse » des universités. La performance intellectuelle et scientifique, l’excellence pédagogique, l’efficacité de la professionnalisation – tout cela a un prix. Quelle université voulons-nous pour notre pays ? La question reste ouverte. Quant à l’UVSQ, je constate qu’en quelques mois, nous avons été portés aux nues par les médias pour notre première place au classement de la valeur ajoutée au niveau de la licence, puis mis plus bas que terre à la suite de notre déficit – deux choses qui ne sont pas tout à fait sans rapport. On gagne toujours à relire les classiques ; cela m’a donné tout loisir de méditer sur les vers du Britannicus de Racine :

« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »


Ce texte peut être lu sur le blog de J.-L. Vayssière.