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Sortie de l’EHESS de la Comue Hesam - 18 septembre 2014

jeudi 18 septembre 2014, par Mariannick

Message du président de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales aux personnels de l’établissement.

Chères et chers collègues,

Après vous avoir alerté sur les risques et déployé de nombreux efforts pour y faire face, j’ai décidé d’interrompre les négociations en cours au sein d’heSam Université et de proposer à nos instances de renoncer à participer à sa refondation comme Communauté d’universités et établissements.

L’engagement de l’EHESS dans heSam a été considérable dès l’invention du PRES, comme en témoignent les initiales HE qui ouvrent le sigle d’ heSam. Plusieurs collègues de l’Ecole puis son président, François Weil, ont porté les deux projets d’Idex, dont le second a débouché sur le programme Paris Nouveaux Mondes. Comme l’ANR l’a récemment souligné, PNM a permis un soutien efficace à nombre de projets de recherche originaux construits par les doctorants et par les enseignants-chercheurs et chercheurs d’ heSam, notamment de l’EHESS. Au-delà, l’EHESS a effectué depuis deux ans des choix en matière de structuration de la recherche qui renforçaient son intégration dans heSam, notamment en matière d’études africaines ou de recherche sur l’Asie. Nul ne peut donc douter de l’implication de l’EHESS dans le projet collectif d’heSam.

Néanmoins, depuis le printemps dernier, l’élan est brisé, pour plusieurs raisons. En premier lieu, la méthode de recherche de consensus a été abandonnée au sein du bureau au profit de rapports de force. Un projet de statuts élaboré collectivement dans un groupe de travail désigné par le bureau a été récusé par un établissement, et un arbitrage ministériel n’a pas permis de retrouver le consensus. Désormais est ancrée l’idée qu’un établissement a des droits quantitativement et même qualitativement supérieurs à tous les autres.

En second lieu, la construction institutionnelle de la ComUE s’est vue donner la primauté sur la construction du projet scientifique d’heSam, pourtant coeur du contrat avec l’Etat. Ce choix, pris malgré mon avis, a contribué à renforcer les ambiguïtés et donc la méfiance des uns envers les autres. Récemment encore, les propositions que je faisais au nom de l’Ecole dans une logique de responsabilité et d’efficacité au profit de projets communs ont été perçues par d’autres établissements comme des revendications, voire des menaces. Il est apparu qu’au sein d’heSam toute initiative, toute réalisation engendrait un subtil débat sur les équilibres à respecter afin qu’aucun établissement ne puisse s’estimer lésé en quoi que ce soit. Dans ses conditions, heSam ne constitue plus un point d’appui pour la réalisation des missions de l’Ecole et au contraire risque de freiner sa dynamique.

Les débats sur les statuts ont aussi affecté les discussions ayant eu lieu au printemps entre les enseignants pour définir l’avenir des formations, notamment de master. Ces discussions, autour d’objectifs suggérés par le ministère, ont renforcé les tensions entre établissements et les inquiétudes. Les collègues de l’EHESS avaient de bonnes raisons de craindre l’imposition du modèle universitaire essentiellement disciplinaire alors que la richesse de l’offre de formation de l’Ecole tient en particulier à l’articulation de plusieurs modèles d’organisation de la formation, autour de séminaires communs, fréquemment interdisciplinaires, accessibles en M2 et en doctorat, selon une logique d’abord de tutorat et de développement de projets de recherche individualisés. Même si cette menace n’est pas immédiate car le ministère a atténué ses exigences initiales, elle est perçue comme demeurant d’autant plus réelle que certains de nos partenaires d’heSam ne sont pas convaincus du bien-fondé de notre position.

Enfin, le contexte économique et politique actuel, dans lequel tant les responsables européens que nationaux poussent à un renforcement sensible de l’orientation de la recherche scientifique vers les défis technologiques ou sociétaux a conduit au sein d’heSam à des propositions d’inflexion en ce sens du projet collectif (notamment pour la candidature aux prochain concours d’investissements d’avenir). Une telle évolution m’a semblé susceptible de nuire à la priorité à la recherche de renouvellement des sciences sociales qui doit rester celle de l’Ecole.

A certains égards, il semble que le projet initial d’heSam ait reposé sur l’engagement individuel et la confiance entre un petit groupe de chefs d’établissements, qui sont parvenus à surmonter les réticences ou les différences qui existaient entre les établissements tant en termes de culture, de tradition que de projet. Le temps passant, celles-ci sont reparues d’autant plus aisément que les personnalités fondatrices ont été remplacées et que l’accentuation de la priorité gouvernementale à la structuration institutionnelle a conduit à lever certaines ambiguïtés du projet initial, et a fait apparaître que l’absence de convergences sur un objectif partagé et une organisation cohérente rendaient improbable le succès au prochain concours d’investissements d’avenir. Sans les moyens d’un tel Idex pour faciliter le rapprochement d’établissements très différents et se connaissant mal, la Communauté m’est apparue comme devenant davantage une menace qu’une chance pour notre Ecole.

L’Ecole n’est pas isolée dans ce choix. Plusieurs de nos partenaires traditionnels, qui constituaient avec l’Ecole ce que l’on pourrait qualifier de pôle « hautes études » d’heSam (l’Ecole française d’extrême orient, l’Ecole pratique des hautes études et la Fondation Maison des sciences de l’homme) ont partagé notre analyse de la situation et décidé comme nous de ne pas poursuivre plus avant le projet heSam. Sans que nos destins soient nécessairement liés pour autant, nous avons décidé de nous concerter pour les décisions à venir.

Si l’Ecole se refuse à s’engager plus avant dans l’approfondissement institutionnel que représente la ComUE heSam, elle ne rompt pas pour autant les coopérations qui existent avec les établissements fondateurs d’heSam comme avec d’autres. Elle reste investie dans les Labex et dans le projet Paris Nouveaux Mondes, même si elle ne jouera plus le même rôle d’impulsion dans celui-ci. Elle reste plus active que jamais dans le campus Condorcet, où d’autres établissements qui partagent notre décision sont également des acteurs importants.

Elle doit par ailleurs repenser ses coopérations pour rejoindre une autre Comue. Sur ce point, tant la politique du gouvernement que la réflexion du bureau confirment que l’hypothèse du « splendide isolement » dans laquelle l’Ecole pourrait rester étrangère aux ComUE – ou seulement associée – n’est pas réaliste. Elle conduirait sans doute à l’appauvrissement, voire à la marginalisation, et ouvrirait des risques importants si l’évolution politique fragilisait encore la place de la recherche et de l’enseignement supérieur dans nos disciplines. J’ai la conviction qu’un investissement décidé, voire enthousiaste, dans un projet qui fasse toute sa place à l’ambition scientifique et à l’originalité des manières de faire de l’Ecole, est le meilleur choix que nous puissions faire.

L’Ecole privilégiera naturellement l’adhésion à l’ensemble qui lui permettra de réaliser au mieux le projet qu’elle a porté depuis un an et qui a été approuvé par nos instances, et plus généralement lui donnera la possibilité de porter sa vision des sciences sociales. Plus que jamais, l’EHESS doit avoir l’ambition de transformer et renouveler l’ensemble des sciences sociales, par les recherches menées en son sein et dans les réseaux qu’elle anime, et plus encore par les jeunes chercheurs qu’elle forme et aide à s’engager dans les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur. héSam ouvrait, notamment via les établissements tournés vers les arts, ceux tournés vers les sciences de l’ingénieur ou ceux qui forment à la décision publique ou privée, à des collaborations potentiellement fructueuses une fois les différences de culture et de langage surmontées. Y manquaient en revanche certains secteurs scientifiques, tels la santé ou les sciences de l’information, qui sont essentiels pour certains des projets scientifiques les plus porteurs pour l’Ecole. Ces objectifs, avec les coopérations existantes et les apports de tous types qu’une ComUE est susceptible de faire à l’Ecole, devront être pris en compte et évalués soigneusement. Mais ce qui importera plus encore, c’est la volonté de chacune de ces ComUE de faire sa place à l’Ecole pour construire ensemble un projet pour le renouvellement de leur Idex. Nous aurons besoin alors non seulement de nos qualités de discernement, mais aussi de notre engagement et de notre capacité à construire une vision ambitieuse d’un avenir commun.

A cet effet, j’ai mis en place dans l’Ecole en juillet, comme je m’y étais engagé auprès de l’Assemblée, un groupe de travail sur les conditions de la poursuite de l’engagement de l’EHESS dans heSam et sur les alternatives possibles. Si la première question semble aujourd’hui périmée, la seconde est plus que jamais d’actualité. La réunion d’hier 17 septembre du groupe de travail a donné lieu à une synthèse sur les vertus des deux ComUE avec lesquelles j’ai par ailleurs engagé de premières discussions, et qui comptent comme membres des partenaires anciens et importants de l’Ecole : Paris Sciences et Lettres d’une part, Sorbonne Paris Cité d’autre part.

Je consulterai le prochain Conseil scientifique mardi 23 septembre et soumettrai à l’Assemblée du 27 septembre l’état des réflexions du bureau, voire des propositions de décision si les discussions progressent suffisamment. J’expliquerai également la situation à une assemblée des personnels le 2 octobre.

En cette situation de transition naturellement délicate, je compte sur votre solidarité et votre confiance en l’Ecole, dont je sais qu’elle saura surmonter rapidement les coûts et les inquiétudes d’une réorientation nécessaire à son avenir et à son identité.

Très cordialement

Pierre-Cyrille Hautcoeur