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"Et la fusion n’eut pas lieu" - Idexit, 22 décembre 2019

dimanche 22 décembre 2019, par Laurence

Idexit est un collectif d’étudiant⋅es lyonnais⋅es mobilisé⋅es sur les questions de restructurations de l’enseignement supérieur à Lyon et Saint-Étienne.

Les 16 et 17 décembre, les conseils d’administration des quatre établissements de la future université-cible devaient voter un projet de statuts et de décret de création, pour parution d’ici fin décembre. Les décisions du jury, qui a rendu son évaluation à mi-parcours il y a quelques jours, mettent un coup d’arrêt au projet et reportent la fusion à une date aujourd’hui inconnue. En attendant une reprise du processus de fusion, quelques mois de luttes intestines s’ouvrent à nouveau à Lyon et Saint-Étienne.

Des efforts, mais peut mieux faire

Les avis du jury, communiqués à K. Bouabdallah dans un courrier de la ministre du 13 décembre, comprennent :

- une évaluation au regard des deux « conditions nécessaires mais pas suffisantes » fixées en février 2017,
- une évaluation du dossier sur 8 critères,
- une liste de conditions, recommandations et observations.

Comme nous nous en étions fait l’écho, le jury recommande la prolongation de l’Idex mais met en avant certaines insuffisances du projet, au premier rang desquelles l’autonomie que conserverait l’ENS de Lyon :

L’ENS – Lyon doit aller plus loin dans son intégration à l’université-cible et en fournir des preuves concrètes et des garanties, y compris, mais sans s’y limiter, en ce qui concerne les politiques de ressources humaines, le budget commun, les activités de promotion, la stratégie internationale, les classements internationaux.

En particulier, la nomination du directeur de l’école, le vote de son budget et de ses recrutements, doivent faire l’objet d’une « approbation  » (et pas d’un simple « avis ») de la gouvernance centrale. Le document insiste sur ce point à plusieurs reprises, ajoutant que «  l’absence d’un seul employeur peut créer une confusion à l’échelle internationale ». Bref, l’ENS, qui s’était taillée la part du lion dans le futur établissement, se voit brutalement sommée d’accepter une annexion.

Deux autres points reviennent sur la structure du projet d’établissement. Le jury pointe du doigt la réduction du pôle ingénierie à peau de chagrin depuis le départ de l’INSA :

En tant qu’université multidisciplinaire, l’UdL devrait avoir une composante ingénierie visible et de rang international. Une stratégie crédible pour atteindre cet objectif devrait être proposée lors du prochain examen.

Enfin, du côté du pôle Droit, « une intégration plus poussée des facultés » (de Lyon 3 et de Saint-Étienne) est demandée. Le pôle avait en effet été conçu comme une juxtaposition des deux facultés, et pourvue de deux doyens munis d’un droit de veto.

La carotte, le bâton et le ministère

Le camouflet que constituent ces avis pour les porteurs du projet, signé par un « jury indépendant » à l’indépendance très théorique, fait surtout figure de retour de bâton du ministère — alors même que le projet de statuts soumis au jury avait été rédigé avec les services ministériels.

Pour se convaincre que le jury sert avant tout à légitimer des impératifs politiques, qu’on songe seulement au critère de la signature commune : tandis qu’il s’agit du seul critère où nous obtenons un C (« ils sont loin en dessous de leurs propres objectifs »), la condition « mise en œuvre d’une signature commune  » est considérée quelques lignes plus bas comme «  suffisamment remplie », ce qui permet à Lyon de rester en course pour l’Idex comme elle avait déjà été maintenue à flot à plusieurs reprises depuis le premier projet déposé en 2011. Lyon doit en en être, et Lyon en sera.

Quant au courrier de la ministre accompagnant les avis, il résume à lui seul tout le jésuitisme des réformes portées par les Idex : «  le jury international vous montre clairement le chemin à suivre », mais « bien entendu, les choix en la matière vous reviennent et [la ministre] ne compte nullement intervenir d’une quelconque façon dans vos discussions à venir ». En cas d’hésitation de nos dirigeant⋅es, la ministre prend soin de rappeler que « l’ordonnance du 12 décembre 2018 permet parfaitement de répondre aux recommandations et conditions du jury », qui indique lui aussi : « les statuts n’ont pas encore intégré tous les avantages des outils qu’offre l’ordonnance ».

Et alors que les président⋅es se sont engagé⋅es politiquement dans la fusion depuis des années (et, pour la plupart, pour déjà deux mandats), que les oboles de l’Idex ont commencé à financer des emplois et des actions de formation et de recherche, que le CNRS poursuit sa politique malthusienne de « concentration des moyens » sur les sites et les unités les plus « performantes  », et que le label Idex commence à produire une rente de situation pour les sites lauréats (qu’elle soit fictive ou bien sonnante et trébuchante), l’Idex apparaît enfin comme ce qu’elle est, hybride entre une carotte et un bâton qui nous emmène vers un modèle universitaire toujours plus néolibéral.

Dans l’arène, le combat de coqs va reprendre

À tel point que même une partie de nos dirigeant⋅es semble désormais poussée dans des retranchements où elle n’avait pas prévu d’arriver. À l’ENS évidemment, où Jean-François Pinton promet depuis des années qu’il retirera l’école du projet si son indépendance est mise en cause, et se trouve dans une position particulièrement délicate : même s’il dispose d’une majorité de membres nommés dans son conseil d’administration, il aura du mal à faire accepter les conditions du jury dans un établissement où il ne compte plus beaucoup de soutiens actifs ; à l’inverse, peut-il se permettre d’annoncer son retrait et de passer pour le fossoyeur de l’Idex ? Lors d’un conseil d’administration lundi dernier, l’abattement l’emportait sur la clarté des positions.

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