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PES : prime et châtiments - Newsletter n°32 (7 octobre 2011)

mardi 18 octobre 2011

Depuis 2007, les chercheurs et les enseignants-chercheurs ont été confrontés à de nombreuses réformes qui ont mis en cause les principes de collégialité dans l’exercice de leurs métiers, que ce soit à propos du gouvernement des universités (avec les formes multiples d’affaiblissement des CEVU et CS au profit des CA et des présidents), du financement de la recherche (avec la baisse constante des crédits récurrents, la hausse vertigineuse du Crédit Impôt Recherche et le développement continu de l’ANR), d’une évaluation quantitative (avec le fonctionnement de l’AERES et les absurdités de la bibliométrie), de l’instauration d’inégalités structurantes entre les équipes et les établissements. SLU a contribué, avec d’autres, à faire apparaître les logiques de fond qui sous-tendent ces réformes derrière les incohérences de leur mise en place. Nous avons ainsi montré en quoi la politique d’« excellence » prônée par le ministère s’inscrit dans cette restructuration en profondeur et en quoi elle est incompatible avec les fondements mêmes de nos métiers.

C’est dans cette optique que SLU a choisi d’apporter son soutien aux manifestations d’opposition suscitées par la mise en place de la PES (ou prime d’excellence scientifique – voir, par exemple, cette lettre).

Il nous a semblé utile d’expliciter les motifs qui doivent, selon nous, conduire l’ensemble de la communauté universitaire et de recherche à rejeter la PES. Emblème de la politique d’« excellence » mise en place par le MESR, celle-ci est, avant tout, une application de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) à la carrière des enseignants-chercheurs, dont il faut identifier les conséquences à court ou moyen terme dans les universités (I).
Si l’analyse des effets de la PES a été, en partie, menée à bien pour les chercheurs, au CNRS et à l’INRA notamment, et amorcée pour les enseignants-chercheurs, son impact au sein des universités doit être mesuré en termes de modulation de service et, plus généralement, d’imposition d’une gestion managériale des « ressources humaines » : de fait, elle entraînera très rapidement une tension et une dissociation entre les deux dimensions organiquement liées de la fonction d’enseignant-chercheur, telles que définies d’ailleurs par leur statut (II).

Nous pensons, à SLU, qu’il est très important qu’une autre politique permette de réintroduire un équilibre entre nos activités de recherche et nos activités d’enseignement, au bénéfice de tous et selon des modalités fondamentalement en rupture avec le dispositif actuel (III).

I. la PES : un avatar académique de la RGPP

Malgré un artifice réglementaire initial, la PES n’est en rien comparable à la PEDR (Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche) (a). Au contraire de celle-ci, elle repose sur une stratification arbitraire des enseignants-chercheurs qui est inscrite dans le déploiement de la RGPP (b), dont les effets sont considérables en termes d’éclatement du corps (c).

(a). La PEDR est morte ! Vive la PES ?

Inutile de le nier : la PES, introduite par le décret du 8 juillet 2009 a rencontré un écho favorable chez une partie de nos collègues, notamment chez les professeurs des universités et les maîtres de conférences habilités à diriger des recherches, qui y ont vu une continuation de la PEDR. Pourtant, la PES n’est pas un simple décalque de la PEDR, loin de là. Et ce n’est pas, contrairement à ce qui a pu être soutenu, parce qu’elle pourrait être attribuée aux maîtres de conférences, alors que la PEDR ne l’aurait pu : en réalité, rien n’interdisait qu’elle soit attribuée aux maîtres de conférences habilités, et on pourrait d’ailleurs s’interroger sur les raisons qui ont empêché, dans les SHS notamment, qu’elle l’ait été plus souvent. Elle en diffère fondamentalement par sa nature même, son montant, le mode de désignation de ses bénéficiaires, ses critères d’attribution et ses conséquences - des aspects profondément pervers inconnus dans le système précédent.

En effet, la PES est en partie indépendante de l’encadrement doctoral, cette condition n’étant qu’un élément parmi quatre critères d’attribution (« production », « encadrement », « rayonnement » et « responsabilités scientifiques ») [1]. En revanche, elle est attribuée de droit chaque année aux membres de l’IUF. Quant à son montant, il n’est plus fixé nationalement mais peut varier du simple au quadruple (de 3 500 euros à 15 000 euros), voire au septuple (25 000 euros), toutes les options à l’intérieur de ces fourchettes étant autorisées, y compris pour opérer des distinctions entre disciplines ou corps statutaires (les taux annuels sont fixés par arrêté – voir ici pour l’année 2010-2011). A l’intérieur de ce cadre, les CA sont libre de fixer le barème appliqué dans leur établissement (article 5 du décret de création de la PES).

La PES peut ainsi offrir des rémunérations récurrentes très élevées, de l’ordre de 6 à 10 mois de salaire d’un MCF débutant. Dans le régime dérogatoire actuel (jusqu’au 31 décembre 2012), le CA se prononce après avis, éventuellement sollicité, de l’instance nationale (pour les universités passées aux RCE) ou uniquement sur proposition de l’instance nationale (pour les universités qui ne sont pas encore passées aux RCE). La composition de celle-ci n’est en rien comparable à celle de la commission en charge de l’attribution des PEDR, dont la moitié des membres étaient désignés « sur proposition des organisations syndicales représentatives », condition qui a disparu avec l’arrêté régissant la PES. La commission est ainsi composée de moins de 5% de MCF, ne comporte quasiment pas de femmes, et les sciences dures y sont sur-représentées. À compter du 1er janvier 2013, l’octroi de la PES relèvera exclusivement des conseils d’administration. Le système en sera-t-il amélioré pour autant ? Il y a tout lieu d’en douter. Étant donné que la loi LRU a puissamment renforcé les phénomènes de localisme, pour ne pas dire de clanisme et de clientélisme au sein des universités, on peut imaginer que la valeur scientifique des dossiers ne sera qu’un critère, parmi d’autres, d’attribution de la PES.

Surtout, les implications des logiques structurelles mises en place sont considérables : outre que la PES est un mode d’individualisation des carrières, elle peut être attribuée indépendamment de l’accomplissement d’un service complet (seules 64 heures de cours par an sont exigées selon la circulaire du 18 juin 2009) et contribue à fragiliser le volume horaire de référence des enseignants-chercheurs (nouveau cheval de Troie pour la modulation de service ?), d’autant que le dispositif de conversion de la prime en décharge horaire est explicitement envisagé dans le décret du 8 juillet 2009, à l’article 6. Dans le cadre de la gestion de la masse salariale des universités « autonomes », la modulation à la baisse pour les uns signifiera automatiquement modulation à la hausse pour les autres, ou recours au recrutement de contractuels prévu par l’article 19 de la loi LRU, dont certaines universités ont déjà décidé de faire un usage extensif.
Ajoutons qu’on constate l’existence de pressions au sein de maintes universités pour pousser les enseignants-chercheurs à candidater pour l’obtention de ces primes. Elles ne sont pas toutes neutres ou bienveillantes, puisque le nombre d’« excellents » chercheurs désigné est fonction du nombre de postulants et que, par ailleurs, il fera partie des indicateurs pris en compte dans le classement des établissements. Il est donc impossible de prétendre, comme le fait le ministère, que la PES est l’équivalent de la PEDR.

(b). L’« excellence » a son quota, c’est même à cela qu’on reconnaît…la RGPP

On pourrait se demander de quel esprit bureaucratique tordu est sortie l’idée que l’excellence peut être déterminée par un quota, fixé par une circulaire du 25 juin 2009 qui pose que l’université française comptera 20 % d’excellents, 30 % de bons et… 50 % de mauvais chercheurs. Ce sont là, en effet, les quotas d’attribution des notes (A, B et C) prévus pour établir un classement des candidatures. Ces classements sont ensuite transmis aux CA des établissements, qui, seuls, ont un pouvoir de décision pour l’attribution des PES. Or, c’est précisément à travers ces attributions que les établissements pourront mettre en application la Révision générale des Politiques publiques (RGPP) pour les EC. À cet égard, l’un des documents ministériels d’accompagnement de la RGPP nous paraît valoir son pesant d’excellence et permet de comprendre la logique qui préside à la PES : Gestion des ressources humaines et LOLF : gestion et reconnaissance de la performance, document publié par le ministère de la Fonction publique en juillet 2005. Comme tous les travestissements de la réalité qui semblent aujourd’hui devoir accompagner le discours public, les différentes primes y sont, dans un premier temps, présentées comme les instruments d’une politique de promotion du « mérite » ou de la « performance ». Le rapport éclaire l’esprit des différents dispositifs gouvernementaux et a la bonne grâce d’expliquer la manoeuvre :

« La performance relève d’un registre sémantique sportif ou commercial, qui n’est pas celui de la fonction publique. Afin de ne pas introduire de blocages par un discours de rupture qui semblerait prôner la performance comme une fin en soi, il paraît indispensable de la rattacher à la finalité de l’action publique, ainsi qu’à la qualité et à l’efficience des services publics. » (p. 15)

Comment pourrait-on dire de façon plus explicite qu’on entend faire prendre des vessies pour des lanternes ? La performance, c’est ce qui doit transformer le service public – attaché à la fonction publique – en public service. La PES fait partie de cet outillage important de la RGPP que constituent les primes à la performance, dont les caractéristiques utiles sont précisées dans le même rapport :

« Les “meilleures pratiques” de ce mode de rémunération de la performance font ressortir les enseignements suivants : […] discriminer progressivement et en suivant une courbe de Gauss [courbe en cloche] dans les attributions au sein d’une même unité, les bénéficiaires ne devant pas représenter plus du tiers des éligibles pour que cette discrimination soit réelle… » (p. 10).

On retrouve ici les quotas d’attribution de la PES : l’excellence à l’université tient à un mode de gestion du personnel, elle n’a rien à voir avec le travail réel accompli.

Tel est le cadre. Les enjeux sont exposés tout aussi clairement et mettent en perspective les effets de ces mécanismes qui « discriminent progressivement ». La politique de Rémunération Liée à la Performance (RLP) s’avère un outil efficace de RGPP. Comme l’affirme le rapport :

« Si les observateurs s’accordent pour signaler les limites des politiques de RLP, ils précisent qu’il existe peu d’organisations publiques ayant renoncé à leurs dispositifs de RLP. En fait, l’une des raisons clefs du maintien et de l’extension des politiques de RLP, outre les coûts dissuasifs d’un retrait, est leur rôle dans la facilitation de changements connexes, organisationnels ou de gestion. En effet, dans le cadre d’une GRH adéquate, les processus qui accompagnent la RLP ont produit des résultats positifs en termes de réorganisation du travail, de définition des objectifs, de clarification des tâches et de recrutement » (p. 13-14).

Et, pour ceux qui n’auraient pas compris, la page suivante est plus explicite encore :

« La RLP doit surtout être utilisée comme le signal ou le déclencheur d’évolutions plus larges de la gestion ou de l’organisation, plutôt que comme instrument de motivation du personnel. » (p. 14).

Fermez le ban ! Où l’on voit clairement qu’il s’agit d’introduire les éléments clés d’une politique de différenciation et d’éclatement des corps, affectant d’ailleurs tous les personnels des universités – PES pour les enseignants-chercheurs mais aussi Primes indemnitaires d’établissement (PIE) et Primes de Fonctions et de Résultats (PFR) pour les Biatoss.

L’intérêt du dispositif n’est pas seulement d’élaborer une hiérarchisation des individus, mais de renforcer les féodalités locales : le dispositif dépend en effet du niveau managérial « de proximité » que constituent les présidences d’université dans les nouvelles prérogatives que lui confère la loi LRU, parce que « la RLP […] se déploie plus facilement dans les pays avec une forte déconcentration managériale » (p. 15) et parce qu’« il importe également que les cadres disposant du pouvoir de l’attribuer [la RLP] disposent de l’ensemble des leviers managériaux nécessaires à l’atteinte des objectifs » (p.16).

La PES ne vise pas fondamentalement à récompenser l’implication de tel ou tel collègue dans son activité de recherche et d’encadrement de doctorants, mais à féodaliser les carrières dans un cadre législatif – loi LRU et LOLF – qui facilite la mise en œuvre de la RGPP, sous couvert d’autonomie. Elle vise en outre à créer de la discrimination au sein de corps relativement égalitaires, et à déprécier, aux yeux de leurs collègues et d’eux-mêmes, un enseignant-chercheur sur deux (à savoir les 50 % classés C). Elle produit par ailleurs, c’est l’un de ses objets, des effets démultiplicateurs importants, pour ses récipiendaires comme pour les autres.

(c). Une politique indemnitaire du tout ou rien

La PES produit donc un système à plusieurs vitesses dans l’université et la recherche, que ne sauraient compenser d’autres primes, présentes ou à venir. En effet, par un phénomène de cumulation, la PES présente la triple caractéristique d’être un « prix ajouté au prix », une rente de – parfois – longue durée pour travaux antérieurs et un formidable outil pour se détacher de la « masse ». Il est tout à fait symptomatique, à cet égard, qu’elle soit attribuée automatiquement aux lauréats de l’IUF, avec un montant-plancher de 10 000 euros, alors même que les membres de l’IUF sont déjà bénéficiaires d’une décharge de deux tiers du temps d’enseignement pendant cinq ans (renouvelables cinq autres années pour les professeurs) et de crédits de recherche spécifiques, qui leur sont alloués à titre personnel et dont ils peuvent faire l’usage qui leur convient sans consulter leur équipe ou leur laboratoire.

Ce mécanisme n’a pas pour seules cibles les enseignants-chercheurs : dès 2009, les lauréats de médailles du CNRS furent également les « bénéficiaires » automatiques de la PES. Depuis 2010, après plusieurs motions du Comité national, les médaillés de bronze sont exclus de l’attribution automatique d’une telle prime, laquelle demeure pour les lauréats des médailles d’argent (pour une durée de cinq ans) ou d’or (à vie !) : le refus de la direction du CNRS de découpler médaille et PES pour l’argent et l’or en dit long sur la fonction de cette prime dans la politique d’« excellence ». Dans les universités, nous avons vu que cette politique laisse sur le bord du chemin plus de deux tiers des enseignants-chercheurs, lesquels seront confrontés aux conditions toujours plus difficiles d’exercice de leur métier, dues à la misère accrue d’établissements garrottés financièrement et à la diminution constante des budgets récurrents des équipes de recherche. Aussi, la politique de primes ne saurait-elle apparaître comme une réponse à l’effritement du pouvoir d’achat des enseignants-chercheurs et des chercheurs, coincés entre le gel du point d’indice et la forte augmentation, ces dernières années, du prix des transports, de l’immobilier et des autres postes de dépenses incompressibles. Effritement que les changements d’échelon ne compensent plus, tandis que, malgré l’augmentation du nombre des promotions destiné à « acheter » le silence des EC, selon une pratique fréquente du sarkozysme, celles-ci restent insuffisantes et relèvent souvent de pratiques opaques.

Certes, pour les exclus de la PES, d’autres dispositifs ont été évoqués (établissement d’une prime d’encadrement pédagogique) ou ont été notablement développés par les établissements (pensons, en particulier, à l’émiettement des primes de responsabilité pédagogique – PRP – et des primes de charges administratives – PCA). Ils ne sauraient suffire : la multiplication des primes – dont on ne rappellera jamais assez qu’elles n’entrent pas dans le calcul de la retraite – laissera toujours de côté une partie des enseignants-chercheurs, sans compenser, pour la majorité, l’érosion continue de leur pouvoir d’achat. La lutte contre cette politique doit être accompagnée d’une exigence de revalorisation des traitements et des carrières, comme l’ont rappelé à plusieurs reprises les syndicats et le Comité national du CNRS, ainsi que d’une réflexion sur ce dont les universitaires ont véritablement besoin.

II. De quoi les universitaires ont-ils besoin ?

La mise en place de la PES est inscrite dans une logique qui entend transformer tout enseignant-chercheur en acteur économique, qui monnaye son implication au sein de son université, elle-même décomposée en unités financières autonomes.

Les dispositifs de la PES ou de l’IUF pointent, de manière implicite, que la question cruciale du travail de recherche est celle du temps et de la disponibilité. Cet aveu doit-il impliquer une partition, au sein de l’université, entre ceux qui font de la recherche et ceux qui enseignent ?

Soyons fous, imaginons des politiques qui, au lieu de vouloir en finir avec l’Université, soient soucieux de renforcer une institution républicaine qui a formé pendant quarante ans des générations d’étudiants dans des conditions difficiles : alors s’imposerait immédiatement à eux la nécessité d’organiser statutairement, dans le déroulement de toutes les carrières, une alternance entre des périodes rythmées par l’enseignement, et d’autres plus spécifiquement consacrées à la recherche – renforçant ainsi l’enseignement, parce que l’engagement sur une période donnée serait d’autant plus entier qu’il n’obérerait pas la dynamique des recherches, renforçant, dans le même mouvement, la recherche, parce qu’elle a besoin de temps long, de maturation.


Au contraire, que nous impose-t-on ?

La nouvelle marotte, complaisamment relayée par la CPU, d’instauration d’une prime d’encadrement pédagogique (PEP) ne peut être analysée autrement que comme le renforcement d’une dichotomie entre enseignement et recherche, dissociant toujours plus ces deux composantes fondamentalement liées de nos métiers. D’une part, quiconque voudra exercer correctement ses obligations d’encadrement selon les nouveaux critères fixés et voir gratifier son « engagement » pédagogique, sera contraint, à des degrés divers, de se détourner de son activité de recherche. De ce fait, il sera menacé, à terme, de ne plus dispenser un enseignement « universitaire ». D’autre part, la PEP consacrerait une tendance au « paiement à l’acte » que la PES a déjà renforcée. Elle parachèverait la scission du corps en trois groupes : d’un côté les titulaires de la PES, de l’autre ceux de la PEP, au milieu ceux qui auraient la prétention de faire leur travail d’encadrement des étudiants tout en souhaitant poursuivre une véritable activité de recherche et qui, pour avoir souhaité conserver les deux grandes activités du métier, ne seraient, sans doute, éligibles ni à l’une ni à l’autre. En outre, comment imaginer qu’un EC ayant travaillé sur les seuls crédits récurrents de son laboratoire, soit placé sur un pied d’égalité, du point de vue de l’appréciation de ses productions scientifiques, avec un EC qui aura cumulé l’IUF sur au moins cinq ans, la PES sur au moins quatre, sans compter les décharges d’enseignement afférentes… L’actuelle mise en place de dispositifs aussi radicalement discriminants va déséquilibrer, de manière durable, le paysage universitaire, qui plus est de manière très malthusienne. Loin d’être un processus dynamique, la sanction par la prime est donc un outil de création de rentes de situation. Cette politique revient à privilégier les travaux d’hier plutôt qu’à parier sur les recherches de demain.

Nouvel instrument d’évaluation et de hiérarchisation, la PES, bientôt adossée à la PEP, doit être vue pour ce qu’elle est : l’instrument d’un changement en profondeur du métier d’enseignant-chercheur, la mise à mal de l’articulation, à l’université, de l’enseignement à la recherche, la fin de la pluralité des formes de recherche. De la PES à la PEP, le statut des enseignants-chercheurs se dissout dans la spécialisation des tâches.

III. Changer de paradigme : en finir avec l’« excellence »

(a). Opacité et niches : le prix de l’excellence ?

Ces analyses nous concernent tous, même ceux qui pensent tirer leur épingle de ce jeu dangereux. Car ceux qui se trouvent en position de négocier la rémunération de chacune de leurs tâches contribuent ainsi à l’affaiblissement global du statut et ne sont déjà plus maîtres des critères d’une évaluation qu’ils subissent, même quand ils croient en être les bénéficiaires. Il ne s’agit pas seulement ici de l’évaluation quantitative, dont les vices ont été relevés depuis plusieurs années (voir ici, ici ou encore ici), mais de l’ensemble d’un système d’évaluation qui, via l’AERES, en réfère au modèle économique dominant naturalisé dans le cadre européen, et adopte en outre les critères bibliométriques issus des sciences « exactes », lesquelles ont souvent abdiqué la dimension réflexive – épistémologique et historique –, qui leur appartient pourtant pleinement. Ce système ne connaît que la recherche à court terme, prônée par la SNRI et pilotée par l’ANR (ou encore), et dont on a déjà pu mesurer les effets délétères sur l’ensemble de la recherche dans les pays anglo-saxons [2]. Enfin, l’imposition, par le haut, de critères d’évaluation identiques pour tous (langue et nombre des publications, définition des terrains, modalités des appels à projets) mine en leur cœur les disciplines et ne peut être confondue avec une interdisciplinarité bien comprise, fût-elle conflictuelle.

Est-il, en outre, acceptable que les modalités de reconnaissance du travail des enseignants-chercheurs et des temporalités spécifiques de leurs activités de recherche et d’enseignement, trouvent des réponses dans la constitution de niches, dont le mode de fonctionnement érige l’opacité en système ? Citons pour exemple ce qu’est devenu l’IUF, tant du point de vue de la constitution du jury que de l’évaluation des dossiers ou des critères d’attribution. Est-il acceptable qu’une instance comme l’ANR, où se joue désormais l’évaluation de la recherche sur projet, cœur de la politique d’« excellence », procède d’une même opacité ?

Aucune de ces structures ne peut, dans les conditions actuelles d’individualisation des carrières et de sélection à l’intérieur d’un corps – qui sont les pendants de l’injonction ministérielle à des regroupements de laboratoires et d’institutions toujours plus larges –, apporter de réponse au problème central des universitaires : le manque de temps, ce temps nécessaire à l’élaboration d’un rapport véritable et construit entre enseignement et recherche. Pas plus que les primes distribuées à quelques-uns ne sauraient cacher une baisse générale du pouvoir d’achat, qui manifeste la valeur accordée de nos jours par le gouvernement en place, à ceux qui forment et qui produisent des connaissances. Le problème du manque de temps, au demeurant bien antérieur à la politique « d’excellence » mise en place par Valérie Pécresse, et reprise sans hésitation par Laurent Wauquiez, ne sera pas résolu par l’écart que cette politique entend creuser entre ceux qui enseignent et ceux qui cherchent. Outre que la PES contribue à dresser les différents acteurs de la recherche les uns contre les autres, elle ne résout certes pas ce qui est devenu une tension au cœur du statut des enseignants-chercheurs : elle la rend intolérable.

Faire d’autres choix est une question politique, au sens où il en va de notre conception du métier et de sa fonction sociale, qui ont fait choisir cette profession à nombre d’entre nous. Bien sûr, nous savons qu’il existe des conditions très différentes d’exercice de notre métier et nous ne négligeons pas ce qui peut relever de choix individuels, tout comme ce qui dépend de situations différenciées, notamment en termes de nombre d’étudiants à encadrer ou de pressions administratives variables. Mais il faut poser la question de la pertinence et de l’efficacité d’un système qui crée de l’inégalité extrême et arbitraire entre enseignants-chercheurs, comme le fait la PES, sans faire l’impasse sur les différences qui existent dans le travail au sein de chacun de nos établissements. Il faut affirmer qu’il est inacceptable de disqualifier les deux tiers d’une profession et de diminuer les ressources récurrentes de leurs laboratoires au nom d’une « excellence » décrétée. Il faut en outre reconnaître que les différences de la recherche, la pluralité et la richesse des recherches ont besoin du maintien et du renforcement d’un statut, celui qui protège juridiquement le métier d’enseignant-chercheur et sa temporalité complexe. De fait, loin de favoriser l’ouverture et la pluralité des sujets et des pratiques de recherche, l’individualisation des carrières, la mise en compétition des individus et des laboratoires dans le cadre d’une politique scientifique fondée sur le projet à court terme, ont pour effet éclatant de produire le formatage en plus de l’éviction a priori de nombre de questions scientifiques qu’aucune « politique » de pilotage ne saurait faire ou laisser surgir.

(b). Changer de paradigme

Il y a d’autres usages possibles de l’argent actuellement gaspillé en ruineuses carottes, qui permettraient de répondre au besoin de temps de tous les enseignants-chercheurs : réduction à cent cinquante heures du service annuel d’enseignement ; création d’années – non de brefs semestres – de mise en disponibilité pour recherche, intégrées aux carrières sur une fréquence de quatre à cinq ans ; ouverture large de dispositifs permettant aux EC de conduire leurs projets (délégations CNRS, voire IUF – à la condition impérative que soient rendues plus transparentes les conditions d’élection et en s’assurant de l’impossibilité de toute nomination arbitraire). L’implication pédagogique et administrative tout comme d’autres événements influant sur la carrière (à commencer par les maternités) devraient être pris en compte dans les critères d’attribution des congés de recherche. Voilà qui serait une tout autre manière de concrétiser l’intérêt d’un gouvernement pour ceux qui sont au cœur de la fabrication et de la transmission des connaissances.

Là où le gouvernement a fait le choix de l’éclatement du corps académique et de la division du travail, nous proposons une autre approche fondée sur les principes qui nous semblent les seuls à même de respecter les équilibres indispensables à la coopération et à l’émulation.

Au préalable, un bilan précis et sincère des masses budgétaires consacrées à cette politique de primes – inexistant jusqu’ici car habilement noyé dans le budget de revalorisation salariale – doit être établi, pour en réorienter une partie significative vers des dispositifs permettant de dépasser le ratio indigne et insultant d’un « primé » pour quatre « recalés ».

Une fois que les primes ne constitueront plus le cœur de la politique de l’ESR, il sera temps d’instaurer des règles encadrant l’attribution de celles qui resteront. En premier lieu, dans la mesure où les effets cumulatifs de la politique d’« excellence » creusent des écarts irrémédiables entre enseignants-chercheurs, le non-cumul des primes paraît un principe nécessaire pour que des collègues qui font le même métier conservent une certaine égalité de revenus. Dans le même esprit, on préfèrera le principe de la prime fonctionnelle aux primes à la tâche. Enfin, pourquoi ne pas plafonner le montant des primes à un pourcentage du traitement fixe ?

Dans l’attente d’une révision générale de la politique d’« excellence » (dite « RGPE »), il est possible aux conseils centraux des universités de prendre des mesures évitant les aspects les plus scandaleux du système. À l’orée d’une année d’élections de ces conseils, au moment où les premiers bilans peuvent être tirés de la politique mise en place depuis cinq ou six ans, les listes en présence devront se prononcer sur ces questions et prendre clairement position sur la politique de gestion des carrières et sur les principes de sa mise en œuvre, en fonction des marges d’"autonomie" qui sont concédées aux futurs CA.

Il serait ainsi possible d’exiger une « charte de bonnes pratiques » énonçant quelques règles claires :

– plafond limitatif du montant des primes ;

– limitation du cumul des primes ;

– refus des chaires d’excellence et plus généralement des statuts dérogatoires pour des recrutements « d’exception ».

Aux futurs élus des conseils, à l’ensemble de la communauté universitaire d’imaginer d’autres propositions qui permettent une transformation radicale dans la répartition des moyens et la défense de bonnes conditions d’enseignement et de recherche dans une université démocratique et collégiale.

Sauvons l’université ! Octobre 2011


[1En 2009, les MCF représentaient 27,8% des primés pour 53,3% des demandeurs